JACOBINS ! Les inventeurs de la République

Entretien avec Alexis Corbière, professeur d’histoire, député FI de la Seine-saint-Denis, auteur de Jacobins ! (ed. Perrin)

 

Pourquoi, aujourd’hui, un livre sur la Révolution française, et, plus précisément, sur les Jacobins ?

On ne peut pas préparer collectivement l’avenir sans connaître l’Histoire et partager des références communes. On utilise beaucoup le mot de « République » ; mais on ne peut pas la faire comprendre et aimer si l’on oublie ou caricature ceux qui en ont été les premiers défenseurs. Or, on donne aujourd’hui une image sombre et caricaturale de la Révolution française dans les médias et les grandes émissions de télévision. Voyez Secrets d’histoire, l’émission à succès de Stéphane Bern : 134 émissions en 6 ans, et seulement quatre personnages de la Révolution évoqués. Pour le reste : des rois, des reines… etc. Voyez la présentation complaisante de Marie-Antoinette dans des films, dans des expositions. Voyez encore l’exploitation du mythe de la Terreur. On jette la suspicion sur la Révolution qui aurait frappé des souverains aimables et innocents. Et l’on instille l’idée que tout grand mouvement populaire finit dans le sang. Il importe de dénoncer ces falsifications qui pèsent sur le présent. Toute victoire électorale doit être précédée de combats culturels. Nos adversaires le savent bien : ils mènent leurs batailles idéologiques en jetant un regard aristocratique et méprisant sur la Révolution et sur les Jacobins. Pendant sa campagne, Emmanuel Macron avait déclaré que la mort de Louis XVI avait laissé un vide fâcheux dans la vie politique française, et que les Français aspiraient à remplir ce vide. Élu, il a réuni le Congrès à Versailles pour lui proposer un pacte « girondin ». Je pense tout le contraire et j’ai cherché à répondre à cette conception de la Révolution.

J’ai remarqué enfin que, pendant le mouvement des Gilets jaunes, des gens sans tradition politique organisée ont, en se mobilisant, coiffé le bonnet phrygien, brandi le drapeau tricolore, chanté la Marseillaise, ou inventé des slogans qui se référaient à 1789, à la prise de la Bastille etc. Cette résurgence de symboles révolutionnaires montre que cette histoire travaille encore. J’ai donc voulu remettre en lumière ce passé, participer à cette réappropriation. Et le faire à hauteur de personnages.

L’ouvrage se présente comme une galerie de neuf brefs portraits. Comment avez-vous choisi, dans le groupe foisonnant des Jacobins, ces neuf figures ?

Je les ai choisis en mêlant, à dessein, des figures très connues et des méconnues. J’ai veillé à ce que chacune soit l’occasion d’aborder un thème, un enjeu qui me tient à cœur. Danton, c’est l’homme qui, quand tout semble perdu, incarne la mobilisation populaire, le patriotisme combatif. Saint-Just, quand le roi est mis en accusation, est celui qui affirme le plus nettement la souveraineté populaire, juge qu’elle ne se partage pas, et considère que tout Roi est par définition un rebelle contre le Peuple. Bertrand Barère, parlementaire très important mais quasiment oublié, est le premier à proposer un plan public de lutte contre l’indigence – un début d’Etat social, si l’on veut. John Oswald, personnage haut en couleur (Anglais, grand voyageur, végétarien, quasi-écologiste, qui perd la vie en se battant contre les Vendéens), me donne l’occasion de parler de la place des étrangers dans la Révolution, et d’un idéal cosmopolite.  Je propose aussi un portrait de Pauline Léon. Une femme sur neuf portraits, c’est peu. Mais je l’ai choisie pour mettre en avant ces femmes du peuple qui, début octobre 1789, sont allées chercher le roi à Versailles pour le ramener à Paris, qui ont créé des clubs politiques, qui ont réclamé un rôle civique important et même revendiqué de porter les armes… Et qui se sont heurtées au sexisme de l’époque. Je parle aussi de Jean-Baptiste Belley, personnage magnifique, presque un héros de roman (amené enfant à Saint-Domingue pour y être esclave, peu à peu émancipé, devenu coiffeur, puis soldat, puis révolutionnaire…) : c’est le premier député noir à l’Assemblée. Avec lui, j’évoque la question coloniale, l’abolition de l’esclavage, l’apport de la révolution haïtienne. Je souhaiterais d’ailleurs que le splendide portrait de Belley par Girodet, peint en 1795, actuellement déposé à Versailles, vienne symboliquement à l’Assemblée nationale. Les députés FI ont écrit en ce sens au président de l’Assemblée.

Vous revenez aussi sur le cas de Robespierre…

Il le faut bien ! Robespierre concentre sur sa personne les pires attaques depuis plus de deux siècles. A partir de Thermidor, on lui a mis les excès de la Révolution sur le dos – alors même qu’une partie des gens qui le renversent (Fouché, Tallien…) sont des terroristes forcenés. Ses anciens alliés devenus ses adversaires, et les contre-révolutionnaires de toutes obédiences ont mêlé leurs efforts pour le dépeindre en tyran, alors qu’il n’y a jamais eu de dictature personnelle de Robespierre (même au temps du Comité de Salut Public, qui était, je le rappelle, une instance de 12 membres, régulièrement réélue et contrôlée par la Convention). Il faut donc, avant tout, balayer la légende noire. En défendant Robespierre, ce n’est pas un homme que je défends, mais une œuvre collective, un projet de République sociale, de République jusqu’au bout, qu’il incarne mieux que quiconque. Parmi ses 1500 discours, je m’arrête sur un seul, de fin 1792, où il aborde la question sociale. Pour Robespierre, la Liberté promise par la révolution ne peut pas se limiter à des dispositions économiques libérales, au « laissez-faire, laissez-passer ». Il faut que la puissance publique exerce, dans l’ordre social, son rôle régulateur. Il faut éviter qu’à l’aristocratie d’Ancien régime se substitue une aristocratie encore pire, celle de l’Argent. Il y a donc, chez Robespierre, une pensée de la question sociale, de l’intervention publique, une critique, au nom même de la Liberté, de la domination marchande. C’est extrêmement contemporain.

Que sont pour vous ces Jacobins ? Des modèles, des inspirateurs, des repères ?

« Modèle » est un mot piégé. Dès qu’on défend quelqu’un, qu’on s’en réclame, qu’on parle de « modèle », on vous répond : « C’est votre gourou ! ». C’est une réaction bien dans l’air du temps d’ailleurs, bien accordée à l’idée très individualiste, très libérale, selon laquelle on se construirait tout seul, on se suffirait à soi-même. Moi, j’assume le fait que je suis aussi le produit de lectures, de rencontres, d’inspirations, d’enseignements… Dans cette formation, les personnages de mon livre ont compté. Certains sont des sources d’inspiration, tous sont des sources de réflexion. Ils ont posé des questions essentielles, ils ont jeté les bases de la République, ils ont inventé toute une culture politique. En ce sens, ils sont des repères. Mais il ne s’agit pas de les imiter en tout. Je ne suis pas le gardien d’un musée, je ne considère pas que tout s’arrête aux Jacobins. Nous avons nous aussi à forger des outils nouveaux.

On pourrait s’étonner que le livre réunisse des personnages qui se sont souvent opposés – parfois jusqu’à l’échafaud. Peut-on se réclamer à la fois de tous ces grands personnages ?

Il ne s’agit pas de se réclamer de tel ou tel, d’être avec Robespierre contre Danton, avec Billaud-Varenne contre Robespierre...etc. Je m’intéresse à un groupe qui cherche à réaliser, collectivement, parfois dans l’affrontement, avec des erreurs et des drames, une œuvre révolutionnaire. Il serait infantile de chercher le personnage parfait. J’ai écrit il y a quelques années un livre sur – ou plutôt pour – Robespierre, et je le défends. Mais je n’en fais pas un héros irréprochable. Il n’y a pas d’homme politique omniscient et irréprochable, hier comme aujourd’hui. Ce qui importe, c’est de voir ce que tel ou tel apporte, et dans quel sens un collectif évolue, ce qu’il est capable d’inventer. Aucun des Jacobins dont je brosse le portrait n’est parfait. Mais il y a beaucoup à regarder, et, je crois, beaucoup à garder.

Propos recueillis par Antoine Prat

 

 

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