Crise économique : Un nouveau monde est empêché de naître
Au-delà du drame sanitaire, la pandémie du Covid-19 a des conséquences économiques et sociales majeures. Des achats empêchés par la fermeture des commerces, des travailleurs qui ne peuvent pas occuper leur poste et la rupture des chaînes d’approvisionnement ont lieu au même moment : la déflagration sur l’économie capitaliste est historique. Une quinzaine de jours de confinement a suffi pour déclencher une récession historique en France : au 1er trimestre le PIB a chuté de 5,8%. Toutes les évaluations tablent sur une perte d’un tiers de l’activité par mois entier de confinement. Pour la sphère privée la chute serait de quasiment 50% et aucun retour à la normale n’est prévu à court terme. Dans ce contexte, le CAC 40 a perdu un quart de sa valeur et l’effondrement de la demande mondiale a fait dégringoler le prix du pétrole. La crise permet au moins de rappeler l’évident : le capitalisme financier ne prospère pas grâce à l’innovation, l’esprit entrepreneurial ou les réformes structurelles, mais par le travail des salariés.
L’Etat seul rempart
Les scientifiques alertent sur le risque de multiplication des pandémies avec la densification de la population humaine, le développement des échanges internationaux et la destruction des espaces naturels. Si les mécanismes sont connus il faut admettre que la déflagration était imprévisible au moins dans la forme qu’elle a prise. Aucun mécanisme privé de mutualisation des risques ne peut nous aider dans une telle situation. En revanche, l’Etat dispose d’un horizon long et peut s’endetter « éternellement » à notre place. Ceci permet d’étaler le choc sur plusieurs décennies, voire siècles, et ainsi alléger le fardeau immédiat. L’Etat joue alors un rôle d’assureur en dernier ressort.
Pour éviter des licenciements massifs, comme aux Etats-Unis, et des faillites en cascade l’Etat paiera une part conséquente des salaires du secteur privé par le mécanisme de l’activité partielle. Six millions de salariés ont déjà reçu une part de leur paye de l’Etat et de l’Unedic et quasiment la moitié des salariés du privé sont potentiellement concernés suite à la demande de leur employeur. Le maintien de l’emploi permettrait, le moment venu, de faire redémarrer la production rapidement.
Les entreprises et les indépendants, qui voient leur masse salariale réduite, bénéficient aussi du fonds de solidarité (7 milliards d’euros) pour compenser la baisse de leur chiffre d’affaires. Enfin, 300 milliards d’euros de nouveaux prêts aux entreprises sont garantis par l’Etat et le report massif des paiements des impôts et des cotisations sociales doivent alléger les problèmes de trésorerie qui peuvent émerger. Tous ces dispositifs visent à éviter les faillites en cascade.
En contrepartie, l’Etat s’endettera massivement. Le gouvernement prévoit un déficit de 9% du PIB (avant Covid il était attendu à 2,2%) et la dette publique devrait atteindre 115%. Si les faillites se succèdent avant l’été, la facture serait encore plus importante (non-paiement des créances fiscales et sociales reportées ou défaut sur les prêts garantis par l’Etat) … mais sans le soutien public la chute du niveau de vie serait catastrophique. Il est urgent de retirer la dette publique du marché spéculatif pour que l’Etat puisse jouer pleinement son rôle de protection des citoyens.
Filets de protection sélectifs
Le choix d’une absorption massive du choc par la puissance publique n’est pas discutable en soi. Néanmoins les mécanismes mis en place ne protègent pas effectivement l’ensemble de la population. Selon l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques) pendant le confinement les ménages dans leur ensemble auraient déjà subi une perte de pouvoir d’achat de 3 milliards d’euros et ce malgré les transferts réalisés en leur faveur (de plus de 24 milliards d’euros avec le chômage partiel et les prestations pour garde d’enfants). Les français payent déjà une partie des pots cassés par l’incurie gouvernementale.
Ces pertes sont concentrées parmi les laissés pour compte du libéralisme. Selon l’Insee, 500 000 emplois auraient été détruits au 1er trimestre. Ceci s’explique par la chute des missions d’intérim et le non renouvellement des CDD courts. Ces salariés embauchés sous des contrats atypiques ne bénéficient quasiment pas du dispositif de chômage partiel et passent entre les mailles du filet. Pire, la récente réforme de l’assurance chômage laisse nombre de précaires sans allocation chômage de base. Les jeunes, particulièrement touchés par les CDD courts, se retrouvent ainsi sans assurance chômage ni minima sociaux car ils restent exclus du RSA. Le gouvernement a tardé à mesurer l’ampleur de la catastrophe. Une aide exceptionnelle ne leur sera versée qu’au mois de juin et sous des conditions trop restrictives. Cette crise doit servir pour créer un mécanisme permanent de soutien au niveau de vie des jeunes adultes qui permette d’assurer leur autonomie.
Les indépendants, les ubérisés et les auto-entrepreneurs sont aussi mal protégés. Cette crise qui a touché massivement les plus précarisés et les plus pauvres aurait générée moins de dégâts sociaux si le versement automatique des minima sociaux avait été mis en place. Ceci permettrait d’éliminer le fléau du non recours aux droits sociaux. C’est le moment de le faire, notre système de protection sociale en sortira renforcé et capable de nous protéger contre les accidents de la vie, même hors période de pandémie.
Construire demain aujourd’hui
La volonté compréhensible d’éviter les faillites créé un risque : en sauvant « le monde d’hier » inconditionnellement, « le monde de demain » lui ressemblerait comme deux gouttes d’eau dans le meilleur des cas. La tentation de la stratégie du choc est grande. On voit déjà le patronat exiger la fin des 35 heures et la suppression de jours de congés. Le temps de l’urgence sanitaire le gouvernement a libéralisé le recours au CDD, remettant sur la table des mesures initialement inscrites dans les ordonnances Pénicaud et abandonnées sous la pression. Les tergiversations gouvernementales sur les aides aux entreprises avec des filiales dans les paradis fiscaux vont aussi dans le même sens. Enfin, le gouvernement est prêt à mettre sur la table 20 milliards d’euros pour recapitaliser des entreprises en faillite mais sans volonté d’exercer un vrai pouvoir décisionnel ni d’exiger des contreparties sociales et environnementales.
Comme en 2008, les beaux discours ne sont pas suivis d’effet. Pourtant l’heure est grave, l’incapacité du libéralisme triomphant à gérer la pagaille qu’il génère nous met en danger sanitaire et social. La catastrophe climatique sera encore plus dure à gérer. Planification écologique, revalorisation des métiers essentiels, investissement massif dans les services publics et relocalisation des productions stratégiques sont plus que jamais nécessaires. Il est temps de s’y préparer, dès aujourd’hui.
Luis Alquier
Crédit image : Image par Gerd Altmann de Pixabay