Bande dessinée : Le chômage, « épidémie silencieuse »

C’est une arnaque de longue haleine. Depuis les années 1970, le pouvoir politique a fait le choix du chômage, de Pompidou à Macron, en passant par un Mitterrand qui annonçait avoir « tout essayé ». La thèse paraît presque complotiste tant il semble incroyable que les pouvoirs, droite et gauche mêlées, aient pu délibérément accepter les 10 à 15.000 morts par an occasionnées par le chômage (sans compter ses drames annexes : misère, maladies, séparations, dépressions…).

Pourtant, la minutieuse enquête longue de 4 ans menée par Benoît Collombat, journaliste d’investigation à Radio France, et le dessinateur Damien Cuvillier, atteste formellement, entre documents publics ou inédits et confidences de certains de ses acteurs, de cette mystification. La longue BD de 283 pages intitulée « Le choix du chômage » (éditions Futuropolis, 26€), nous en fait partager les étapes, entendre et voir les intervenants. Elle se lit comme un roman noir, très noir, un hold up sur les vies et les consciences.

C’est donc il y a un demi-siècle que s’est réalisé le coup de force politique initial qui a privé l’Etat de son contrôle de la monnaie et des banques et l’a abandonné aux soubresauts du marché avant de le corseter dans la construction néolibérale de l’Europe. Raymond Barre, premier ministre de Giscard, par ailleurs traducteur en France de Friedrich Hayek qui a si bien inspiré Pinochet et Trump, annonçait clairement le programme : « Il faut introduire le brochet de la concurrence internationale pour que nos carpes nationales perdent le goût de la vase. »

Tant pis pour la friture, le chômeur devenait variable d’ajustement. La gauche mitterrandienne s’embourbait dans l’idéologie de la rigueur. Et si une communication de la banque JP Morgan de 1987 rassurait les investisseurs américains d’une France avec son taux de chômage élevé garantissant ordre social, salaires en baisse et donc profits juteux, l’enquête laisse entrevoir, les états d’âme d’un Bérégovoy opposé à l’indépendance des banques centrales et ses conséquences qui l’ont peut-être conduit à son suicide un 1er mai 1993.

Il est impossible de résumer la densité des éléments de cette édifiante contribution à notre histoire récente. Notons juste qu’il apparaît clairement que la monnaie, les banques, les marchés financiers, l’Etat ne sont pas des questions techniques mais politiques et que le chômage en procède directement comme une « épidémie silencieuse » assumée contre laquelle, Ken Loach, qui signe la préface de l’ouvrage, ne préconise qu’un vaccin : « nous organiser, nous défendre et gagner la prochaine fois. »

Jean-Luc Bertet

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