Assurance chômage : le cynisme en marche.

Le 30 mars, dans un contexte sanitaire, social et économique catastrophique, le gouvernement a publié le décret de sa réforme de l’assurance chômage pour l’appliquer à partir du 31 juillet. Cette réforme vise à réaliser 1,2 milliard d’euros par an sur le dos des privés d’emploi. La lettre de cadrage qui lançait le processus en 2019, avait suscité le refus ferme des syndicats de travailleurs et patronaux. La première mouture de la réforme n’émanait finalement que des services du ministère du Travail. Les principales mesures de cette première version rompaient avec le principe d’égalité entre les cotisants et avaient été censurées par le Conseil d’Etat en décembre 2020. Dans l’illégalité et dans un contexte sanitaire explosif le gouvernement avait décidé de suspendre la réforme. Le gouvernement revoit donc sa copie en plein troisième confinement alors même qu’on compte 263 000 emplois en moins qu’avant la pandémie, 1 million de personnes en situation de sous-emploi en plus et une explosion de la pauvreté.

Un entêtement idéologique

Cette réforme n’est pas le produit d’une analyse de la situation actuelle. Elle révèle le cœur de la pensée macroniste. Un petit retour en arrière permet de montrer l’entêtement idéologique du gouvernement. Le 15 septembre 2018, Emmanuel Macron se permettait de dire à un Français privé d’emploi que s’il voulait un emploi il suffisait de traverser la rue. Il ajoutait « Si vous êtes prêt et motivé, dans l'hôtellerie, les cafés, la restauration, dans le bâtiment, il n'y a pas un endroit où je vais où ils ne me disent pas qu'ils cherchent des gens ». Les secteurs mis en avant par E. Macron pour lesquels -apparemment- il y avait des emplois à foison en 2018… sont précisément ceux qui souffrent de la crise aujourd’hui… Si le début de la « petite phrase » montre à quel point la réforme est le produit d’un entêtement idéologique, la fin décrit à la perfection cette idéologie.

Peu importe que la personne en question eût une passion et une formation en horticulture. Les compétences, l’amour du métier, l’accomplissement de soi n’entrent pas dans les subtilités de la pensée complexe jupitérienne. Pour le président, si on est privé d’emploi, la faute revient au chômeur qui n’a pas fait assez d’efforts. Si on a une passion non valorisée par le marché, elle est inutile. Pire, la personne privée d’emploi constitue un poids pour les « premiers de cordée », si chers au président. Ce triptyque permet de comprendre les objectifs derrière la nouvelle mouture de la réforme de l’assurance chômage.

Discipliner les privés d’emploi

Selon les premières analyses, la réforme diminue le montant de l’indemnisation de plus d’un million des privés d’emploi concernés. S’il étend la durée de cotisation pour ouvrir des droits, le principal est ailleurs. En modifiant le mode de calcul du Salaire Journalier de Référence (SJR) elle touche le cœur du mécanisme de compensation des chômeurs. Traditionnellement le SJR était censé représenter la moyenne de ce qu’un salarié perçoit lorsqu’il est en emploi (en gros les salaires divisés par le nombre de jours en emploi pendant la période générant les droits). Le nouveau mode de calcul prendra en compte les jours au chômage pour le calcul. En divisant un revenu salarial fixe par un nombre supérieur de jours, il n’est pas difficile de comprendre qu’on va réduire le montant de l’indemnisation, dépendante du SJR.

Ainsi, deux salariés ayant le même nombre de jours en emploi, avec le même salaire peuvent avoir des indemnisations différentes, avec un rapport pouvant aller de 1 à 50 selon les calculs du sociologue Mathieu Grégoire, confirmés par l’Unedic ! Précaire en emploi, faible indemnisation au chômage.

Ce changement de formule fait que des nombreux allocataires se retrouvent avec une indemnisation proche du Revenu de Solidarité Active (RSA). Ce calcul pervers n’est pas un bug de la réforme, il est le cœur. Le but étant de couper massivement les indemnisations de plus précaires afin de les « inciter » à trouver rapidement un emploi, même s’il ne correspond pas à leurs compétences ou souhaits professionnels. Le chômeur, contraint par le manque de ressources, devra traverser la rue pour satisfaire les exigences des capitalistes. Dans le cas contraire, il faudra se contenter du RSA.

Organiser la destruction de la protection sociale

Ce changement du mode de calcul a des conséquences majeures pour le système de protection sociale. L’assurance chômage n’est plus censée stabiliser les revenus pendant les périodes de chômage mais doit fournir un minimum vital, complété éventuellement par le RSA. On passe d’un système assurantiel à un système assistanciel et disciplinaire. L’objectif n’est plus de sécuriser le niveau de vie des chômeurs mais de fournir une main d’œuvre à bas coût aux entreprises.

Ce changement de logique est accentué par la deuxième grande mesure de la réforme du gouvernement : la dégressivité des allocations pour les plus hauts salaires. Les salariés privés d’emploi qui avaient un salaire supérieur à 4500 euros bruts verront leur allocation diminuer au bout de 6 mois. Toujours la même logique. Pour le gouvernement, la dégressivité de ces indemnités constitue une « mesure de justice sociale » visant les plus hauts revenus (ceci est écrit ainsi dans le Plan de relance soumis à la Commission Européenne). Après les cadeaux faits aux riches, le gouvernement la joue en Robin des Bois entre privés d’emplois. Si cela concerne seulement 60 000 salariés par an, ceci peut laisser des traces durables sur le système. Les cadres représentent 42 % des recettes de l’assurance chômage mais seulement 15 % des dépenses. Derrière les beaux discours il y a un nette dégradation de la qualité de l’assurance pour ces catégories de salariés, pourtant contributeurs nets au système. Dans ce contexte, ils demanderont de s’extraire d’un système qui ne les protège pas. Les libéraux créent simultanément le « ras-le-bol fiscal » et « l’assistanat », qui serviront d’excuse pour les prochaines réformes anti-sociales.

Des alternatives existent

Il est probable que la copie du gouvernement soit à nouveau censurée. Mais il ne faut pas se contenter de cela, le gouvernement trouvera des nouvelles façons d’être dur avec les plus précaires, même pendant la pandémie et la prochaine vague sociale qui s’annonce. Les tenants du « tout marché » ne perdent pas le nord et mènent la bataille idéologique. Pour y faire face des alternatives d’émancipation doivent être proposées. Lors de la dernière niche parlementaire du groupe insoumis, les députés insoumis ont porté le projet d’une garantie à l’emploi à travers un mécanisme d’Etat employeur en dernier ressort. Le débat sur la réduction du temps effectif de travail doit être posé. Seulement en proposant des alternatives fortes et crédibles nous retrouverons les Jours Heureux.

Luis Alquier

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