Analyse : Le bloc populaire face à Macron et Le Pen

Jean-Luc Mélenchon, une force puissante

Avec près de 22% des voix, et plus de 7,7 millions de votes en sa faveur, Jean-Luc Mélenchon a fait la démonstration lors de ce premier tour que l’Union Populaire est une force concrète, solide et rassembleuse. Augmentant de près de 655 000 voix le nombre de vote en sa faveur par rapport à 2017, dans un contexte d’abstention plus importante et sans le PCF, il a atteint un score de 5 points supérieur aux derniers sondages réalisés le vendredi d’avant vote, signe d’une dynamique très forte. 

La force de la proposition politique portée par Jean-Luc Mélenchon réside dans son ancrage progressif et durable au fur et à mesure des années. Depuis dix ans, l’objectif a été de ramener les classes populaires, dégoutées du sort que leur réservent les gouvernements de droite comme de gauche depuis tant d’années, vers le vote, et vers le vote social et écologique. Cet objectif est atteint en grande partie.

Les quartiers populaires sont retournés aux urnes en ce 10 avril 2022, les scores dans les départements de la couronne parisienne en attestent. Jean-Luc Mélenchon termine en tête en Seine-Saint-Denis avec 49% des voix, 28,12% en Essonne, 32,67% en Val-de-Marne, 25,86% en Seine-et-Marne et 33,17% dans le Val d’Oise. Et il le fait grâce à une participation en nette hausse qui contraste avec l’abstention massive ailleurs. Les scores atteints dans le 93 sont révélateurs à plus d’un titre. Jean-Luc Mélenchon est en tête dans 37 villes sur 40 avec des scores jamais vus, plus de 60% à Saint-Denis, Bobigny, Clichy.

Le vote Mélenchon en outre-mer est également impressionnant : 56,16% des voix en Guadeloupe, 53,10% en Martinique, 50,59% en Guyane. Et largement en tête avec 40,26% à la Réunion. Ces territoires négligés par la métropole ont saisi le bulletin de vote Mélenchon pour donner une issue positive à leur colère face au désert des services publics.

Et, comme en 2017, il arrive également en tête en Ariège (26,07%) à la sociologie bien différente !

Dans les bastions macronistes, Jean-Luc Mélenchon arrive en tête également : au Havre, dont le Maire est Edouard Philippe avec 30,17% des voix, à Amiens, ville de naissance de Macron avec 31,3%, à Prades, ville dont Jean Castex a été maire avec 27,12 et à Tourcoing chez Gérald Darmanin avec 36,20% des voix.

La dynamique de l’Union Populaire a aussi porté Jean-Luc Mélenchon en tête dans de nombreuses grandes villes : Montpellier 40,73%, Lille 40,53%, Grenoble 38,94%, Roubaix 52,50%, Rennes 36,31%, Nantes 33,11%, Strasbourg 35,48%, Toulouse 36,95%. Il arrive également en tête à Marseille (31,12%) en dépassant même les 50% dans les 1er, 3ème et 15ème arrondissements. A Paris, il est premier dans les arrondissements de l’Est (1er, 10ème, 13ème, 18ème, 19ème et 20ème).

Dans ces grandes villes comme partout dans le pays la jeunesse s’est saisie du bulletin de vote de l’Union Populaire. Jean-Luc Mélenchon termine premier, à plus de 30% chez les 18-34 ans. C’est une victoire décisive d’avoir convaincu la nouvelle génération de la pertinence du programme l’Avenir en commun. Un formidable point d’appui pour la suite.

Avec 21,95%, Jean-Luc Mélenchon réalise de très loin le plus haut score jamais réalisé par un candidat écologiste dans l’histoire de France. Et il dépasse le score du communiste Jacques Duclos en 1969, obtenant le plus haut score pour un candidat issu de la gauche hors PS.

Le vote pour Jean-Luc Mélenchon est un vote d’adhésion au programme et au projet pour 80% des votants selon l’IFOP contre 66% pour le vote Macron. C’est donc bien le travail de conviction autour d’un programme qui a permis d’agréger petit à petit puis d’entraîner ceux qui ne voyaient pas d’autre issue à leur situation personnelle ou à la situation politique. Voilà la grande réussite et l’héritage majeur du travail mené par Jean-Luc Mélenchon et son équipe.

Macron digère la droite

Macron, une « contrefaçon » s’était étranglée Pécresse découvrant que le programme du candidat « marcheur » ressemblait fort à un copié-collé du sien (retraite à 65 ans ou le conditionnement du versement du RSA, suppression de la redevance audiovisuelle, etc). 

Ses protestations n’avaient pas troublé Macron qui avait assumé l’emprunt du programme des LR. « Je m’en fiche royalement, totalement. Ce n’est pas mon problème, ce qui m’importe, c’est de convaincre les Français et qu’ils s’y retrouvent. » Il ne pouvait être plus clair dans sa volonté d’aller piller les terres traditionnelles de droite pour cette présidentielle après sa razzia auprès de l’électorat socialiste en 2017.

Et il y est manifestement parvenu. Nationalement, alors que Fillon totalisait 20,01% des voix au premier tour de 2017, Pécresse n’a recueilli que 4,78% des suffrages dimanche. Les focus locaux sont encore plus édifiants.

A Vaucresson, dans les Hauts-de-Seine, Macron qui plafonnait à 29,78% en 2017 distancé par un Fillon à 50,35% affichait ce 10 avril un score de 47,80% loin devant une Pécresse à la ramasse avec 12,90% des suffrages. On peut faire le même constat à Neuilly-sur-Seine, l’ancien fief de la droite dont Sarkozy a été l’édile, où Fillon avait obtenu 64,9% des voix en 2017 devant Macron à 23,74% : le 10 avril au soir le président-candidat a obtenu 48,98% des suffrages devant Pécresse à seulement 15,14%. Même scénario encore au Touquet, dont Macron, local de l’étape, ne faisait en 2017 que 30,39% derrière Fillon à 50,80%. Ce quinquennat et les mesures de celui qu’il projette ont manifestement rassuré les plus aisés qui le créditent d’un taux de confiance de 55,78% contre 11,30% à Pécresse.

Alors que LR et PS ne totalisent que 6% à eux deux, ces résultats font de Macron l’unique représentant d’un bloc néolibéral qui prend toujours plus une orientation programmatique de droite dure. Mais qui voit aussi son socle réduit à 35% des exprimés. A noter que les 28% de Macron reposent pour l’essentiel sur les catégories les plus aisées financièrement et sur les plus de 70 ans dont il obtient 41% des voix.

L’extrême droite renforcée par Macron

L’extrême-droite au deuxième tour ? Cela devient malheureusement une habitude. L’addition conséquente à la dédiabolisation-banalisation des thèmes d’extrême droite est lourde (rappelons le « Je trouve que vous êtes plus molle que nous pouvons l’être » de Darmanin face à une Le Pen sidérée). Aux 23,15% de Le Pen, il faut ajouter les 7,1% de Zemmour et les 2,1% de Dupont-Aignan qui ont appelé dès dimanche à voter pour la première soit 32,35% des suffrages exprimés quand Le Pen et Dupont-Aignan ne totalisaient que 26% en 2017.

Toutefois, est-il certain que le pays se soit massivement fascisé ou plutôt n’est-ce pas une redistribution des cartes entre candidats, Zemmour ayant joué le jeu de passerelle entre droite et extrême-droite au fil de la campagne et jusque dans l’isoloir pour certains ?

Macron n’a manifestement pas été le seul à bénéficier de l’implosion des LR. Au niveau national, Le Pen a engrangé 457 878 voix de plus. Zemmour lui a totalisé 2 486 935 voix. Si l’on prend en compte que Dupont-Aignan a lui perdu plus de 600 000 voix depuis la précédente présidentielle, le gain total de l’extrême droite avoisine les 2,344 millions de voix mais les LR en ont perdu 5,553 millions entre 2017 et 2022 (dont 900 000 récupérées par Macron).

Au niveau local, en considérant trois villes déjà citées, à Vaucresson, Zemmour et Le Pen atteignent plus de 19% des voix contre 5% en 2017. Idem à Neuilly, où Le Pen faisait seule 3,61% et dimanche dernier avec Zemmour totalisaient plus de 24%. Le très chic Touquet ne fait pas exception : 9% pour le Pen en 2017 et avec Zemmour, plus de 22%. Zemmour réalise ses meilleurs scores à St Tropez, Neuilly, Versailles et dans l’ouest parisien. Le Pen progresse le plus fortement en Sarthe, sur les ruines du fillonisme. Voilà pour les terres de droite.

Le premier tour de cette présidentielle conforte les dynamiques à l’œuvre en 2017. Le dégagisme s’exprime contre les partis des gouvernements passés et par l’abstention. Le clivage gauche-droite bipolaire a laissé la place à trois grands blocs : un bloc nationaliste, un bloc néolibéral, un bloc humaniste. Il aura fallu le talent de Jean-Luc Mélenchon et la force de son programme et de ses militants pour déjouer un duel annoncé dès le premier tour. La force de l’Union populaire est aujourd’hui un repère et un point d’appui pour la résistance indispensable quel que soit le résultat du second tour le 24 avril.

L’impasse des votes partidaires

Il manque 421 420 voix à Jean-Luc Mélenchon pour accéder au 2nd tour. C’est moins qu’en 2017 malgré, cette année, la présence d’un candidat du PCF. L’échec de l’appareil PCF est patent. Y compris sur les terres de la banlieue rouge et dans les fiefs historiques du PCF, Fabien Roussel ne parvient pas à rassembler sur son nom. Moins de 10% et même de 5% dans de nombreuses communes (Ivry, Montreuil, Bobigny etc.), quand Jean-Luc Mélenchon dépasse souvent 50 voire 60%. A l’échelle du pays, il dépasse de peu le score historiquement bas du PCF en 2007. Fabien Roussel est même devancé par Le Pen, Macron mais aussi Mélenchon dans sa propre circonscription du nord (17,4% pour l’insoumis contre 12,41% pour le PCF). 

Le PS et EELV, cette fois séparés contrairement à 2017, totalisent à eux deux le même score et à peu près le même nombre de voix qu’il y a cinq ans. Même logique de parti qu’au PCF, même logique d’appareil pour peser dans l’élection législative, et dans une hypothétique reconstruction de la gauche. Parti pris inaudible et sanctionné. Jadot ne franchit pas les 5%, Hidalgo ne passe pas les 2%. La maire de Paris n’obtient que 2,18% des voix dans la capitale. Les grandes villes dirigées par EELV offrent des scores énormes à Jean-Luc Mélenchon (Grenoble, Lyon, Strasbourg etc.). PS et EELV échouent à regagner les électeurs de centre-gauche partis chez Macron en 2017. L’impasse de leur stratégie les amène au pied du mur d’abord financier, car leurs campagnes ne seront pas remboursées. Puis face à leur responsabilité historique d’avoir préféré faire campagne contre Mélenchon que contre Le Pen et Macron.

Claire Mazin, Jean-Luc Bertet

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