2022 : Pourquoi Mélenchon veut-il 150 000 parrainages citoyens

Jean-Luc Mélenchon ne fait décidément rien comme tout le monde. Alors qu'il vient de proposer sa candidature à l'élection présidentielle de 2022, le président des députés insoumis souhaite une « investiture populaire » en sollicitant « le parrainage de 150 000 citoyens » via une plate-forme internet nommée noussommespour.fr. Il a également déposé une proposition de loi à l'Assemblée nationale sur le sujet. Pourquoi cette démarche originale ? Pour plusieurs raisons démocratique, politique et militante.

Un enjeu démocratique

L'idée de parrainages citoyens pour pouvoir se présenter à l'élection présidentielle, comme le chiffre de 150 000 soutiens, ne viennent pas de nulle part. Actuellement, seuls peuvent se présenter à l'élection présidentielle les candidats ayant obtenu le parrainage de 500 élus, essentiellement de maires. Cette procédure opaque privilégie les partis bien installés et met les élus locaux sous la menace du chantage des principaux partis. Elle fait dépendre de quelques mains la candidature de courants politiques solidement ancré dans le pays. Déjà en 2008, le comité présidé par Edouard Balladur sur la modernisation des institutions proposait d'abandonner ce système et évoquait l'idée que « seuls les candidats ayant recueilli la signature d'une proportion déterminée des électeurs inscrits seraient à même de présenter leur candidature à l'élection présidentielle ».

Quelques années plus tard, en 2013, c'est l'ancien Premier ministre PS Lionel Jospin qui proposait d'instaurer la possibilité pour 150 000 citoyens de parrainer un candidat (lire son rapport "Pour un renouveau démocratique" ici). C'est-à-dire de l'autoriser à être candidat. La commission Jospin en avait même fait la proposition numéro 1 de son rapport, jugeant qu'un tel système serait « plus légitime » que le système actuel de parrainages par les seuls élus. Elle estimait même que « sur le plan des principes, le parrainage citoyen paraît le plus conforme à l’esprit de l’élection présidentielle. Ce dispositif est également en cohérence avec la volonté actuelle d’impliquer de manière croissante les citoyens dans le fonctionnement des institutions démocratiques ». Elle expliquait également que « un seuil de 150 000 semble suffisamment élevé pour limiter fortement le risque de candidatures qui n'auraient manifestement pas leur place dans un scrutin présidentiel. Il ne l'est cependant pas trop et ne paraît pas susceptible de conduire à l'exclusion d'un candidat se réclamant d'un courant politique représentatif » notamment au regard des résultats obtenus par les « petits » candidats lors des élections précédentes.

Mais pas plus Nicolas Sarkozy – qui s'y était pourtant dit favorable - à la suite du rapport Balladur que François Hollande à la suite de Lionel Jospin n'auront eu la volonté d'inscrire ce changement dans la loi. On notera au passage que l'actuelle ministre macronienne de la culture Roseline Bachelot était également membre de la commission Jospin. Combattra-t-elle désormais une mesure qu'elle a contribué à imaginer ?

Avant de proposer de s'appliquer ce système à lui-même, Jean-Luc Mélenchon a récemment déposé à l'Assemblée nationale une proposition de loi visant à instaurer ce parrainage citoyen et reprenant la proposition Jospin de fixer le nombre à 150 000 (lire la proposition de loi ici). Cette proposition devrait être discutée au plus tard en mai 2021 au moment de la prochaine journée parlementaire de la France insoumise. Pour pouvoir s'appliquer dès 2022, elle devra être adoptée par l'Assemblée et le Sénat. Mélenchon anticipe donc, en espérant montrer l'exemple et entraîner les parlementaires.

La France rejoindrait alors plusieurs pays européens où un tel système de parrainage existe, avec des seuils extrêmement divers. Ainsi, en Autriche, il faut 6 000 parrainages pour une population 8 fois moins importante que la France. Ce qui donnerait environ 50 000 citoyens en France. Une proportion identique à la loi portugaise qui requiert 7 500 citoyens pour une population 7 fois plus faible qu'en France. En Finlande où la population est 12 fois plus faible qu'en France, la loi prévoit qu'il faut le soutien de 20 000 citoyens pour parrainer un candidat. Ramené à la France, cela correspond à un nombre de 240 000 citoyens. En Pologne, il faut 100 000 citoyens pour une population un peu plus de 2 fois plus faible qu'en France ce qui correspondrait à un nombre de signature de 170 000 si on appliquait la loi polonaise en France. En Slovaquie, pour être candidat, il faut être soutenu par 15 000 citoyens soit l'équivalent de 180 000 parrainages en France. Comme l'écrivait déjà la commission Jospin, « le seuil de 150 000 signatures serait conforme à la moyenne observée dans les Etats membres de l'Union européenne qui ont institué un mécanisme de parrainage citoyen pour l'élection présidentielle ».

Un enjeu politique

L'introduction d'un mécanisme de parrainage citoyen serait une rupture importante pour rendre les citoyens maître des candidats qu'ils se donnent. Elle s'inscrirait plus globalement dans une volonté de permettre aux électeurs d'être à l'initiative démocratique. Il y a dans cette proposition un écho évident à la revendication de la création d'un droit au référendum d'initiative citoyenne par les Gilets jaunes ou à la mobilisation de plus d'un million de citoyens pétitionnaires pour un référendum contre la privatisation des Aéroports de Paris. Il n'est d'ailleurs pas étonnant de voir que les insoumis et Jean-Luc Mélenchon se sont fortement engagés sur ces deux batailles.

L'exemple de la tentative de référendum d'initiative partagée sur ADP montre d'ailleurs que les critiques sur les obstacles « techniques » à un système de parrainage citoyen sont surmontables à condition qu'on n'y mette pas autant de mauvaise volonté que le gouvernement dans le précédent ADP. Le recueil des parrainages en ligne ou dans les mairies a fonctionné. La vérification au fil de l'eau par le conseil constitutionnel aussi, permettant d'écarter la crainte d'une impossibilité de vérifier autant de signatures en quelques jours.

D'une manière plus générale, Jean-Luc Mélenchon inscrit évidemment cette idée dans son projet plus global d'une refondation de la démocratie en France, à travers ce qu'il appelle une 6e République. Parrainage citoyen, assemblée constituante, RIC, référendum révocatoire, il y a une grande cohérence dans la proposition de l'insoumis qui souhaite permettre l'intervention directe du peuple dans les affaires publiques.

Un enjeu militant

Les critiques contre sa démarche témoignent d'ailleurs du mépris des macronistes et de certains commentateurs officiels pour les initiatives citoyennes. Ils tentent avec mauvaise foi de réduire la démarche de Mélenchon à une habileté, un objet de communication, voire une « formalité » permettant « la triche ». Eux ne s'embarrassent clairement pas de savoir comment les citoyens peuvent devenir souverains. En aurait-il peur ? A l'heure où les macronistes sont surtout préoccupés de savoir comment repousser les prochaines élections locales après leur déroute aux municipales de 2020, le doute est permis.

Leurs arguments ne tiennent pas. « Habileté »? Pourquoi La République en marche n'y a donc pas pensé plus tôt ? Si c'est si « habile », voteront-ils la proposition de loi Mélenchon pour que cette disposition s'applique dès 2022 ? « Objet de communication » ? La question des conditions d'accès à la présidentielle est bien plus que cela, un vrai enjeu démocratique au point d'être régulièrement discutée juste avant chaque élection. Une « formalité » pour Jean-Luc Mélenchon ? Si l'insoumis a en effet recueilli plus de 100 000 signatures en 24h depuis sa proposition de candidatures le dimanche 8 novembre, il faut se souvenir qu'il avait mis presque trois mois à atteindre ce seuil en 2016 où il avait déjà initié une démarche comparable. Alors qu'on le disait isolé, affaibli et se lançant au mauvais moment, cet enthousiasme autour de sa candidature à dû surprendre beaucoup de monde qui cherche désormais à banaliser le processus en cours faute de l'avoir vu venir.

Enfin, concernant la possibilité de tricher en signant plusieurs fois, il faut se souvenir qu'un certain Emmanuel Macron a lui aussi eu recours à un appel en ligne pour sa candidature en 2016, recrutant des « marcheurs » par simple clic. Y aurait-il eu fraude à ce moment-là ? Cela témoigne surtout d'un état d'esprit sournois que les commentateurs projettent sur la société tout entière. Face à cela, les équipes de Jean-Luc Mélenchon ont mis en place un dispositif anti-fraude : vérification des adresses email et des adresses ip, envoi de mail de confirmation, chasse aux pseudos farfelus, recours annoncé à un huissier pour certifier le processus.

La saturation du site internet noussommespour.fr au moment de son lancement, le nombre de visiteurs uniques connectés, la frustration de Français de l'étranger ne pouvant signer dans les premières heures du fait de la nécessité d'un code postal à 5 chiffres prouvent clairement la réalité et la profondeur de la mobilisation. Chez les militants insoumis, on ressent aussi cette mobilisation, regrettant que le confinement empêche de se lancer dans la démarche de signatures sur les marchés ou au porte-à-porte.

Avec ce lancement, Jean-Luc Mélenchon est en passe de réussir une démonstration de cohérence politique et de force militante. Déjà, de nombreux insoumis mais aussi des personnalités non insoumises ont apporté leur soutien à sa candidature tout comme des artistes ou intellectuels comme l'humoriste Bruno Gaccio, l'avocate Caroline Meccary, le philosophe et sociologue Didier Eribon ou le youtubeur Usul.

C'est peut-être là la meilleure réponse aux critiques. Puisque ce serait si simple, Le Pen, Macron et les autres oseront-ils faire de même et solliciter un parrainage citoyen de leur candidature ? Et pour qu'il n'y ait aucun doute sur la réalité des soutiens des uns et des autres, les députés LREM soutiendront-ils la proposition de loi Mélenchon afin de mettre en place un dispositif officiel, vérifié et contrôlé par le Conseil constitutionnel ?

Matthias TAVEL

Partager cet article...
Share on Facebook
Facebook
Tweet about this on Twitter
Twitter
Email this to someone
email