Sylviculture : Menace sur les forêts françaises

Jean-Luc Mélenchon et Mathilde Panot étaient en déplacement dans le Morvan le 23 octobre dernier. L'occasion de pointer les errements d'une gestion financières des forêts françaises.

Les forêts françaises sont à la croisée des chemins. Comme dans l'agriculture, celles-ci connaissent un processus d'industrialisation rampante. Citoyens, associations, collectifs, se mobilisent et luttent contre la prédation sur ces biens communs.

On recense, en France, 136 essences d'arbres différentes. 76% des forêts sont feuillues, c'est-à-dire qu'elles abritent des arbres portant des feuilles. Or, depuis quelques décennies, l'industrie du bois copie les modèles des pays du Nord en convertissant progressivement les arbres feuillus en plantations d'essences résineuses, comme le douglas. La spécificité de ces essences est leur croissance rapide. Le douglas, par exemple, atteint à 40 ans une taille et un diamètre suffisants pour être prélevés par les têtes d'abattage des machines d'exploitation forestières. En ce sens, le cycle de vie des arbres est soumis à la temporalité et aux moyens utilisés par l'industrie, alors même qu'une essence comme le douglas pourrait vivre des centaines d'années. L'industrie procède par le triptyque suivant : coupe rase, plantation, monoculture. La coupe rase désigne l'abattage de la totalité des arbres d'une parcelle, au moyen d'engins lourds qui tassent les sols. La plantation en monoculture consiste à réaliser un « champ d'arbres » comme en agriculture, c'est-à-dire la plantation d'arbres de même âge et de même hauteur.

Cette sylviculture intensive a des effets délétères scientifiquement prouvés sur l'écosystème : les coupes rases fragilisent les sols, détruisent la biodiversité, réchauffent le climat local et entravent la régénération de la forêt. La monoculture rend les plantations plus vulnérables aux aléas climatiques, aux maladies ou aux attaques d'insectes.

Ce type de sylviculture sert des intérêts purement financiers. Les coopératives forestières, qui gèrent et exploitent les forêts privées, font office de lobby de la plantation. Elles se trouvent en situation de quasi-monopole à chaque échelon de la filière bois : elles produisent des plants, font du conseil en gestion, supervisent et réalisent des travaux forestiers et vendent du bois. Dans cette position, elles ont tout intérêt à conseiller aux propriétaires forestiers de réaliser des coupes rases, pour facturer elles-mêmes les travaux de plantation.

Le Morvan, symbole de l'industrialisation

Le massif forestier du Morvan est emblématique de ce type de sylviculture. En quelques décennies, 50% des forêts feuillues ont été remplacées par des monocultures de résineux. Les riverains et les associations se mobilisent : en novembre 2019, 550 personnes s'étaient rassemblées sur une coupe rase pour dénoncer l'industrialisation de la forêt, à l'initiative de l'association Canopée forêts vivantes. Les citoyens organisent des groupements forestiers afin d'acquérir collectivement des parcelles et les gérer à couvert continu.

Les citoyens ont également tenté de faire pression sur le Parc naturel régional du Morvan, dont la charte devait être renouvelée en 2020. Le Parc avait demandé à l'Etat la possibilité d'être consulté pour des coupes rases d'une surface de plus de 0,5 hectares, en vain. Dans l'état actuel de la législation, les coupes rases ne font l'objet d'aucune interdiction dans le code forestier. Chaque département forestier fixe néanmoins un seuil au-delà duquel il est nécessaire de demander une autorisation pour procéder à la coupe rase. Dans le Morvan, la quasi-totalité de ces demandes sont acceptées chaque année par la direction départementale des territoires.

Un débat devenu national

C'est en raison de ce vide juridique que la députée du Val-de-Marne et vice-présidente du groupe parlementaire la France insoumise Mathilde Panot, s'est saisie de la question, au terme d'une commission d'enquête citoyenne, réunissant différents parlementaires, membres d'associations de protection de l'environnement et de syndicalistes de l'Office national des forêts. Elle a déposé une proposition de loi en juillet dernier, visant à l'encadrement des coupes rases. Celle-ci mentionne l'interdiction de faire une coupe rase sur une surface supérieure à 2 hectares, sauf en cas d'impasse sanitaire avérée. Aujourd'hui, les industriels invoquent « l'impasse sylvicole » pour procéder à des coupes. Celle-ci considère que certaines parcelles sont « improductives » bien qu'elles soient en bonne santé.

Le gouvernement s'est également saisi de la question, en missionnant la députée du Nord Anne-Laure Cattelot afin de faire des propositions sur la forêt et la filière bois. La députée recommande dans son rapport final, sorti fin septembre, l'encadrement des coupes rases au-delà de 2 hectares, tout en autorisant une dérogation à 10 hectares selon les départements. Dans le plan de relance du gouvernement, 200 millions d'euros sont affectés à un volet sur les forêts. Celui-ci inquiète, puisqu'il prévoit un grand plan de reboisement avec 150 millions d'euros de subventions à la plantation pour les propriétaires forestiers. Les associations écologistes redoutent une massification des coupes rases en vue de plantations en monoculture. Par ailleurs, dans le projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique, voté à l'Assemblée nationale début octobre, le gouvernement a permis le recrutement massif de contractuels de droit privé à l'Office national des forêts afin de remplacer les fonctionnaires restants. L'établissement est sinistré. En 30 ans, l'ONF est passé de 15 000 à 9000 agents. Il a connu une vague de suicides (50 depuis 2002) en raison d'une violence managériale et d'une vision néolibérale de l'Office qui a fait perdre aux agents le sens de leur métier.

Pourtant, des alternatives existent

Sur le territoire, de nombreux forestiers résistent. Ils prônent des alternatives, appelées « sylviculture à couvert continu », encouragées par l'association Pro-Silva, qui réunit des propriétaires, gestionnaires forestiers ou citoyens, désireux de développer une sylviculture respectueuse de l'écosystème. Ce type de sylviculture préconise la diversification des essences et des âges des arbres (futaie irrégulière), la conservation de la biodiversité, afin d'accroître la résilience de la station forestière aux aléas climatiques. Il s'agit de prélever des arbres en les sélectionnant un par un, lorsqu'ils arrivent à maturité. Cette conception privilégie le capital fertilité des sols, essentiel à la régénération de la station forestière. Contrairement à la sylviculture intensive, qui est coûteuse en travaux, en machines et en fuel, ce type de sylviculture est peu coûteuse en frais de gestion et plus intéressante à moyen et long-terme pour les propriétaires forestiers.

Cette sylviculture réhabilite un rôle des forestiers plus proche de la nature, et met en application cette belle citation d'Ernst Zürcher : « L’arbre, géant de l’espace et du temps, enraciné dans le ciel et dans la terre, mémoire des siècles et source de vie, ami de toujours, attend... que l’homme s’arrête, qu’il le regarde et qu’il lui dise : « Continuons ensemble ! » »

Milan May

Crédit photo : Mel22 - Parcelle ayant fait l'objet d'une coupe rase, parcelle 163, Forêt d'Ermenonville, Oise.

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