Cristallisation

La campagne présidentielle est en train de cristalliser dans les esprits et dans les cœurs. En chimie la cristallisation est un moment fascinant où des composés jusqu'ici désordonnés changent de nature en se densifiant et en se coagulant pour donner naissance à une réalité nouvelle et ordonnée. La finesse et la solidité des cristaux suscite d'ailleurs souvent l'émotion quand on la découvre alors qu'elle n'était pas visible jusqu'alors dans l'environnement extérieur. C'est ce qui arrive à la candidature présidentielle de la France insoumise depuis une dizaine de jours : elle a commencé à surgir dans toute sa cohérence aux yeux du grand nombre.

Dans l'esprit public comme dans la nature, la cristallisation n'est pas un phénomène spontané. Elle est le fruit de forces matérielles à l'œuvre de longue date : ici la France insoumise a non seulement fait germer dans la société les semences de plus d'un an de campagne, mais elle a aussi levé la dormance des graines enfouies dans le pays par tous les mouvements sociaux n'ayant pas trouvé de débouché politique, et notamment l'immense vague populaire contre la loi El Khomri et son monde.
La cristallisation de la campagne s'opère en réalité de manière inégalement avancée autour de trois grands courants idéologiques. Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen sont ceux qui cristallisent aujourd'hui le mieux les visions du monde radicalement opposées de l'humanisme égalitaire et de l'ethnicisme xénophobe. Fillon peine au contraire à incarner une synthèse cohérente entre les deux champs idéologiques du libéralisme économique et de la droite autoritaire et radicalisée. Cette synthèse n'a bien sûr rien d'impossible puisque des régimes libéraux-autoritaires ont déjà existé, comme sous le Chili de Pinochet. Car le libéralisme économique radical, que Macron essaie d'incarner plus clairement, conduit souvent à entraver la démocratie comme en atteste son attachement au 49-3.

Ce moment de cristallisation est une chance pour la France insoumise. Car à mesure que les consciences se réchauffent des changements inattendus deviennent possibles. Cela suppose que la liberté de jugement du citoyen soit défendue bec et ongles, pour qu'il puisse faire ses choix en totale indépendance de conviction. Il faut notamment décomplexer les plus modestes sur la légitimité de leurs aspirations à mieux vivre dans un monde si riche. Car comme le disait à sa manière Victor Hugo en 1850 « c'est surtout dans son action sur les classes qualifiées jusqu'alors classes inférieures qu'éclate la beauté du suffrage universel ». Il s'agit encore aujourd'hui « de dissoudre ce qui restait des castes dans l'unité auguste d'une souveraineté commune, et d'emplir du même peuple tous les compartiments du vieux monde social ». Et ainsi de « rendre sa part de souveraineté à celui qui jusque-là n'a eu que sa part de souffrance » !

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