PAC : une politique agricole catastrophique

Le Parlement européen a adopté le 23 octobre la réforme d’une politique essentielle : la PAC (Politique agricole commune) dont le budget représente près de 400 milliards d’euros. Cette politique repose sur deux piliers : le premier concentre près des trois quarts du budget et concerne les aides directes aux agriculteurs ; le second est consacré au développement rural. Elle est essentielle pour la vie du monde agricole français qui traverse une crise structurelle profonde depuis de nombreuses années. En effet, les prix des produits agricoles tels qu’organisés au sein de la PAC ne permettent pas à la plupart des agriculteurs de vivre décemment. La PAC perpétue et aggrave les inégalités puisque 80% des aides directes aux agriculteurs sont concentrées sur les 20% d’exploitations les plus grandes. Cette politique est essentielle pour répondre à l’urgence écologique alors que 20% de nos émissions de gaz à effet viennent de l’agriculture et qu’elle est également la première cause du déclin de la biodiversité au sein de l’Union selon le propre aveu de la Cour des comptes européenne. Cette politique est essentielle pour le bien-être animal alors même que le modèle agricole promu par la PAC organise la souffrance animale généralisée. Au vu de ces éléments, il apparaît évident qu’une autre PAC est nécessaire. Cette revendication est par exemple portée par le collectif « Pour une autre PAC » qui regroupe des syndicats du monde agricole, comme la Confédération paysanne, des associations de défense de l’environnement, comme la LPO, Greenpeace ou WWF, et des associations de défense du bien-être animal comme Welfarm. Cette demande est également portée par la France insoumise qui défend la nécessité de mener une Politique agricole et alimentaire commune au service d’une agriculture écologique, locale et paysanne. Une telle réforme était possible.

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En effet, la PAC est réformée tous les sept ans. La réforme étudiée a été présentée en 2018 et s’appliquera sur la période allant de 2023 à 2027. Les négociations auront duré deux ans et auront été monopolisés pour l’essentiel par les trois groupes parlementaires qui forment la grande coalition libérale du Parlement européen : le PPE (groupe de la droite où siègent LR), Renaissance (le groupe macroniste) et le S&D (le groupe social-démocrate). Malheureusement, et dès le départ, la proposition de la Commission européenne n’a pas été à la hauteur des urgences évoquées précédemment. Elle n’était même pas en accord avec les nouvelles ambitions environnementales affichées par la Commission Von der Leyen que ce soit son Pacte vert, sa Stratégie de la Ferme à la table ou pour la biodiversité ! Ainsi, par exemple, la Commission prétendait consacrer au moins 40% des fonds consacrés aux objectifs climatiques, mais en réalité rentrent dans cette catégorie des aides qui n’ont que peu à voir avec des politiques climatiques et environnementales. Dans les faits toute la dimension prétendument environnementale de la PAC reposera sur les « plans stratégiques nationaux ». Ces plans nationaux qui devront être approuvés et évalués au fur et à mesure par la Commission marquent un détricotage du caractère commun de la PAC. Surtout, la Commission ne sera en réalité pas en mesure de procéder à de pareilles évaluations. La Cour de justice de l’Union européenne a rappelé que la Commission serait bien en peine de juger les valeurs cibles fixées par chaque plan national puisqu’il n’existe pas dans sa proposition législative d’objectifs quantifiés à l’échelle communautaire. Dans ces circonstances la Cour en conclue que « malgré les aspirations de la Commission et ses appels en faveur d’une PAC plus verte, sa proposition ne correspond pas à un renforcement manifeste de ses ambitions en matière d’environnement et de climat ». Même selon les standards d'une institution conservatrice comme la CJUE la proposition de la Commission était notoirement insatisfaisante au regard de la crise écologique que nous connaissons,

La délégation France insoumise au Parlement européen, avec Manuel Bompard, a porté plus de 150 amendements pour contrer le désastre social et écologique concocté par la Commission et aggravé par les trois groupes de la grande coalition. Ces amendements ont été travaillés notamment lors des Assises de la PAC à Valence en décembre 2019. Ils se déclinent en quatre axes. En ce qui concerne le premier axe, il faut renverser la logique libérale qui a détruit l’agriculture, n’assure pas des prix rémunérateurs, conduit à la précarité et à la disparition des agriculteurs. Pour ce faire Manuel Bompard a demandé qu’en cas de surproduction et de chutes des prix, il soit possible de mettre en œuvre une réduction obligatoire des volumes (pour laquelle les agriculteurs sont soutenus financièrement), et d’imposer des pénalités financières à ceux qui continuent de surproduire afin d’éliminer la concurrence. Concernant le deuxième axe, il s’agissait de donner enfin à la PAC une architecture environnementale solide : des objectifs pertinents, des conditions environnementales de base pour toutes les aides, et un budget dédié à la transition. Pour le troisième axe, Manuel Bompard a mis sur la table la sortie du système des aides proportionnelles à la surface afin de rediriger celles-ci vers des mesures justes et ciblées. Il faut mettre fin au système inique actuel dans lequel les aides aux très grandes exploitations ne sont pratiquement pas plafonnées alors que les aides aux plus petites le sont strictement. Enfin, concernant le dernier axe, Manuel Bompard a proposé l’interdiction des aides à l’élevage intensif, le conditionnement des aides au respect de la législation européenne sur le bien-être animal et la fin de l’élevage en cages.

Le verrouillage conservateur et opaque opéré par les trois grands groupes ne laissait aucune place à ces transformations. Devant la gravité de la situation, la délégation France insoumise a déposé, avec d’autres députés, dont les Verts et plusieurs socialistes français, un amendement de rejet de la proposition sur la table. Sans succès.

Au désastre organisé s’est ajouté un scandale démocratique. Au début de la procédure alors que les milliers d’amendements déposés étaient à peine connus, et n’étaient pas encore tous traduits, le président du Parlement, le socialiste David Sassoli, a avancé les votes d’une journée ! Et, ce sont des amendements des plus importants qui ont été votés en premier : les compromis honteux trouvés par les groupes PPE/Renaissance/S&D sur la répartition des budgets et sur les conditionnalités environnementales. Ce passage en force visait à empêcher la société civile, en-dehors du Parlement, d’examiner les amendements et de se mobiliser. Isolés dans leur tour d’ivoire, les députés européens des grands groupes et du Rassemblement national ont soutenu leur texte catastrophique – que ce soit pour les paysans, pour la biodiversité, pour le bien-être animal ou pour le climat. Ainsi se sont éteintes les ambitions écologiques proclamées en grande pompe par la Commission européenne.

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Camille Verneuil - Jean Bellew

Crédit photo : @pouruneautrepac https://twitter.com/pouruneautrepac/status/1317471230342082566?s=20

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