Finances : « Créer un impôt universel à 25% sur les profits des multinationales »

Entretien avec Manon Aubry, députée LFI au Parlement européen

Le gouvernement Borne refuse toujours de taxer les super-profits en disant que c'est fait au niveau européen, est-ce vrai ?

Il faut d’abord noter une chose : avant que cela ne soit fait au niveau européen, le Gouvernement refusait quand même de taxer les super-profits et Bruno Le Maire avait même déclaré qu’il « ne savait pas ce que c’est ».

Maintenant que même l’Union européenne commence à avancer sur la question, ils sont obligés de reconnaître leur existence. C’est donc une petite victoire pour nous, qui réclamons cette taxe sur les super-profits au niveau européen depuis avril 2020 !

Mais la taxe européenne est largement insuffisante. Elle ne touchera que certaines entreprises énergétiques (gaz, pétrole, charbon et raffineries) alors même que nous réclamions une taxe sur les super-profits de toutes les entreprises énergétiques, bien sûr, mais aussi des autres secteurs. Pourquoi épargner le transporteur maritime CMA-CGM qui a généré autant de profits au premier semestre 2022 qu’en 2021, qui était déjà une année record pour lui ? Il faudrait aussi la rendre pérenne, augmenter le taux et élargir l’assiette, car nous le savons, de nombreuses multinationales ne déclarent pas leurs profits en France et échapperont donc à cette taxe sur les super-profits comme elles échappent actuellement à l’impôt sur les sociétés.

On retrouve le même débat sur la taxation des profits "habituels" des multinationales non ?

Exactement. Nous demandions la mise en place en France d’un impôt universel sur les profits des multinationales, afin de taxer notamment les géants du numérique qui pratiquent l’évasion fiscale et échappent à l’impôt français.

Que nous répondait Le Maire ? Qu’il fallait attendre que les négociations internationales aboutissent. Puis qu’il fallait attendre que l’Union européenne transpose l’accord international dans une Directive. Et donc évidemment, qu’il fallait accepter un accord minimaliste, pour qu’il convienne à tous, y compris aux paradis fiscaux européens comme l’Irlande…

Aujourd’hui, la Directive est toujours bloquée au niveau du Conseil. Et que dit Le Maire ? Que peut-être, si elle reste bloquée jusqu’à fin 2022, alors la France pourrait mettre en place cet accord de manière unilatérale.

Résultat : nous avons perdu des années et en plus, nous mettons en place la version minimaliste de l’accord.

En quoi la France pourrait-elle faire mieux ? Peut-elle agir seule face à ces multinationales ?

Oui. Nous pourrions très bien décider, dès maintenant, de mettre en place un impôt universel à 25% sur les profits des multinationales qui rapporterait 26 milliards d’euros par an à la France… C’est simplement une question de volonté politique !

Et cela ne bloquera pas les négociations internationales, au contraire. Avancer de manière unilatérale en France débloquera les négociations internationales pour deux raisons : premièrement, cela montrera que c’est possible ! La société civile dans les autres pays pourra s’appuyer sur cet exemple pour mettre la pression sur leurs gouvernements : « en France, ils le font et cela leur rapporte 26 milliards. Cela montre que c’est possible, alors pourquoi nous ne le faisons pas chez nous ? ». Aussi, nous assècherons en partie les ressources des paradis fiscaux. Quand petit à petit de plus en plus de pays auront mis en place de telles mesures, les paradis fiscaux n’auront plus aucun intérêt à le rester… Et ils en finiront avec ce système de concurrence fiscale mortifère pour nos services publics.

L'UE est en train de réviser le pacte de stabilité et de croissance sur les déficits des Etats, que faut-il en attendre ?

Je ne vais pas vous surprendre si je vous dis qu’il ne faut pas s’attendre à grand-chose !

Le pacte de stabilité et de croissance qui organise l’austérité européenne est en pause depuis 2020 en raison de la pandémie de covid-19 puis de la guerre en Ukraine qui ont amené l’UE et les Etats membres à prendre des mesures exceptionnelles pour amortir leurs conséquences économiques et sociales. Mécaniquement les dépenses ont augmenté, et donc les déficits et les dettes par la même occasion. Les fameuses règles de 3% de déficit et 60% de dette par rapport au PIB ont été encore plus malmenées que d’habitude.

La Commission fait mine de prendre acte de ce changement de contexte et a planché sur une révision de ces règles. En théorie, ce n’était pas une mauvaise idée, car elles sont obsolètes. Mais en pratique, ce changement n’augure rien de bon : les Etats auront certes un peu plus de temps pour se remettre sur les “les rails budgétaires” mais seront davantage sanctionnés s’ils dépassent du cadre.

En réalité, la réforme proposée nous maintient dans le même cadre budgétaire absurde dans lequel les Etats sont pieds et mains liés sur leurs dépenses et sont sommés de faire des économies à tout prix. Et ce prix, c’est celui de nos services publics, de notre protection sociale et de l’investissement dans la transition écologique, etc.

La réforme des retraites illustre cette volonté de réduction des dépenses publiques par l'UE ?

Totalement ! La réforme des retraites illustre de manière assez éloquente les conséquences de ces règles sur nos vies. En 10 ans, la Commission européenne a demandé à 8 reprises une réforme des retraites à la France dans le cadre du semestre européen. Des mesures comme l’allongement de la durée de cotisation, le report de l’âge légal de départ à la retraite, l’uniformisation des régimes de retraites et la casse des régimes spéciaux sont régulièrement demandés pour « ramener la France sur une trajectoire viable », et « assainir les finances publiques ». Et Macron est complice, car il avait de toutes façons prévu de saccager nos retraites, mais cela l’arrange bien de pouvoir en mettre la responsabilité sur Bruxelles.

Face à l'inflation, la BCE choisit la hausse des taux d'intérêts. En quoi est-ce dangereux ?

En matière de politique monétaire aussi il y a des chimères. Pour la BCE, c’est l’objectif de 2% d'inflation ; et elle est prête à tout pour y parvenir, ou plutôt, montrer qu’elle s’en préoccupe. Car en vérité, quasiment tout le monde s’accorde à dire que les sources de l’inflation sont externes et liées en particulier à la flambée des prix l’énergie, de l’alimentation, etc. Par conséquent, la politique monétaire n’y peut pas grand-chose. Mais pourtant, la « banque des banques » s’obstine à opérer un resserrement de la politique avec une augmentation des taux sans précédent ! Dans la logique de BCE, cela est censé réduire l’offre de crédits et les salaires, donc la demande, et permettre de modérer l’inflation.

Et à la fin, c’est nous qui allons le payer au prix fort, car cela va se traduire par une contraction brutale de l’économie, et donc une récession et du chômage. Il faut bien évidemment lutter contre une trop forte inflation mais les outils que nous préconisons sont tout autres : blocage des prix et indexation des salaires. Parce que là, le plus probable est que nous ayons le remède de cheval de la BCE sans même les bénéfices d’une réduction de l’inflation…

Est-ce-à dire que nous allons vers un nouveau choc d'austérité ? L'UE n'a donc rien appris de la gestion de la crise de 2008 ?

C’est effectivement ce qui est en train de se dessiner. Il semble que, justement, le propre de l’aveuglement idéologique des institutions européennes et des gouvernements néolibéraux est qu’il les empêche d’apprendre et de tirer des leçons du passé ! A nous d’augmenter la pression pour les forcer à enlever leurs œillères…

Propos recueillis par Matthias Tavel

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