Europe Le droit à l’eau, toujours pas reconnu

Durant la dernière décennie, les partisans du droit à l’eau ont applaudi l’abrogation par référendum d’initiative citoyenne de la gestion privée en Italie en 2011 et la reconnaissance du droit à l’eau en Slovénie en 2016. Mais ils ont aussi constaté les renouvellements de délégations de service public de l’eau aux multinationales du secteur. Ils ont vu comment les lobbys se sont battus becs et ongles pour que le droit à l’eau ne soit pas reconnu au plan européen.

Directive européenne en deçà des enjeux

Des collectifs, des associations, des syndicats et des usagers se sont donc activement mobilisés pour obtenir la reconnaissance du droit à l’eau à l’échelle européenne. Ils ont lancé en mai 2012 une initiative citoyenne européenne (ICE) Right to Water. La pétition, soumise en décembre 2013, a rassemblé plus de 1,6 millions de signatures, ce qui obligeait la Commission à réagir. La directive eau potable est la réponse à cette ICE. Proposée par la Commission en février 2018, il s’agit d’une révision de la directive concernant la qualité des eaux destinées à la consommation humaine.

Le texte, adopté avec quelques amendements par le Parlement européen en octobre 2018, encourage l’installation des fontaines gratuites dans les lieux publics, garantit l’accès à l’eau du robinet dans les administrations, mais pas dans les restaurants. Les États membres sont censés offrir un « accès facile et convivial » à des informations liées à la qualité et à la fourniture d’eau potable. Cependant, la directive est largement en-deçà des attentes de la pétition. Malgré une attention aux groupes « vulnérables » et la mention d’un « accès universel », le droit à l’eau n’est toujours pas reconnu.

La directive vise aussi à renforcer la qualité de l’eau : elle ajoute des polluants à contrôler. Mais dans le même temps, le Parlement européen a aggravé la version de la Commission : il a multiplié par 10 la concentration maximale autorisée du bisphénol A et a augmenté la concentration maximale des substances perfluoroalkylées (PFAS). Par ailleurs, il a exclu toute une catégorie de PFAS des analyses. Or le bisphénol A et les PFAS utilisées dans les textiles, les produits nettoyants et les peintures sont des perturbateurs endocriniens qui auraient des effets cancérogènes.

Le Parlement a voté la directive, malgré une forte abstention en raison des limites du texte. Désormais, c’est au Conseil européen, représentant les États, d’apporter ses propositions. Cependant, lors du dernier Conseil européen des ministres de l’environnement le 20 décembre, des oppositions entre gouvernements auraient surgi : certains rejetteraient l’article 13 qui concerne l’accès universel à l’eau potable. Par ailleurs, d’autres pays comme la France, la République tchèque, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Danemark, la Hongrie voudraient préciser des aspects de la directive, notamment les critères de la qualité de l’eau.

Le « trilogue », cette négociation entre les principaux responsables du texte au Parlement, au Conseil et à la Commission, n’est donc pas commencé. Si les député.e.s européen.ne.s progressistes estiment avoir arraché quelques avancées sur l'accès à l'eau, ils auront tout intérêt à suivre ce trilogue qui pourrait accoucher d'une souris. Les reculs constatés sur la qualité de l'eau risquent tout aussi bien de s'accentuer.

Les mobilisations locales resteront donc plus que jamais indispensables pour enrichir notre expertise et prouver que le droit à l’eau peut être appliqué localement.

Luttes pour la gestion publique et droit à l’eau

En France, la situation évolue souvent positivement par l'action des nombreuses associations, Eau Secours, Eau Bien Commun et des collectifs citoyens. Certes, à Lyon ou à Toulouse, les usagers ont essuyé des revers, les Veolia et consorts conservant encore leur position. Mais dans le reste du pays, la gestion publique progresse. Depuis Grenoble à la fin des années 90, les régies publiques ont regagné du terrain sans une seule fois être remises en cause. Paris, Castres, Viry-Châtillon, Nice, Montpellier en sont des exemples. Les gestionnaires publics se sont enfin constitués en réseau en 2012. France Eau Publique, le réseau des gestionnaires publiques de l'eau, défend l'intérêt public face à la Fédération des gestionnaires privés (FP2E). Ce réseau mutualise son expertise et le savoir-faire publics.

Souvent, ce sont les usagers et des élus ruraux isolés comme dans l’agglomération de Montpellier qui ont fini par renverser le cours de l'histoire. Encore dans le Pays de Gex, les comités ATTAC et la Coordination Eau Bien Commun ont permis par leur expertise de faire basculer en régie publique une agglomération entière. Plus récemment en Côte d'Or, un collectif Eau Bien commun et des élus, minoritaires au point de départ, ont bloqué une délégation au privé à la Communauté Ouche et Montagne. Chaque fois, les résistances citoyennes ne font pas seulement avancer la gestion publique mais marquent des points sur la question du droit à l'eau et sur l'amélioration de la qualité de l'eau et du service.

A chaque fois, l’argent auparavant dédié aux dividendes et remontées financières aux holdings est dorénavant consacré à la lutte contre les fuites, à l'entretien des sources, à la protection des captages et même parfois à conversion à l'agriculture biologique en amont des champs de captages. Mieux encore, des tarifications selon les usages (vitaux, de confort, de luxe, professionnels...) sont étudiés et la gratuité de compteurs ou des abonnements au domicile principal deviennent possibles.

Il y a 15 ans, la France comptait 34 000 services de l'eau et de l'assainissement des eaux usées. 12 000 d'entre eux étaient gérés par le privé. Aujourd'hui, nous comptons avec les fusions de collectivités et syndicats intercommunaux 31 000 services, seulement 6 300 sont encore en contrat avec le privé (source FP2E 2018). L'engagement citoyen et les exemples concrets de passage du privé au public ont servi et serviront encore de point d'appui.

A l’Assemblée, nous ne trouvons que les député.e.s insoumis.es pour déposer des projets en faveur du droit à l'eau et de la gestion publique. Ainsi, Bastien Lachaud défendait une proposition de loi constitutionnelle le 1er février 2018 rejetée par la majorité LREM. A Bruxelles et Strasbourg, nos futurs parlementaires européens auront fort à faire, pour arracher des victoires. Le droit à l’eau est l’un de ces combats qu’il faudra mener.

Les militants de la gestion publique et citoyenne de l'eau ne baissent pas les bras. Ils gardent en mémoire que « L'eau est l'égal de l'air que l'on respire et du rayon de soleil, elle ne peut faire l'objet d’accaparements à des fins privées. L'eau c'est la vie. » Danièle Mitterrand, Latche, 23 août 2011.

Gabriel Amard

Image: Pxsphere

 

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