Déchets nucléaires : Le pari dangereux et absurde de l’enfouissement à Bure

Déchets nucléaires ?

Selon l'article L542-1-1 du code de l'environnement, « Les déchets radioactifs sont des substances radioactives pour lesquelles aucune utilisation ultérieure n'est prévue ou envisagée ». Ce qui autorise toutes les interprétations.

Un réacteur de 900 MW (il y en a 32 en France) consomme 21,5 tonnes d'Uranium enrichi à 3 ou 4 %

- L'extraction du minerai laisse sur site 69 000 tonnes de résidus miniers radioactifs (Thorium, Radium, Radon) qui ne sont pas pris en compte parmi les déchets car restent à l'étranger.

- L'enrichissement du combustible laisse environ 180 tonnes d'Uranium appauvri, dont 5 tonnes serviront à la fabrication du MOX (qui ne sera pas retraité, mais entreposé). Les 175 tonnes restantes ne sont pas des déchets, puisque cela pourrait servir.

- Après avoir été utilisées, ces 21 tonnes de combustible irradié sont retraitées à la Hague, donnant

          209 kg de Plutonium, servant au MOX, ou entreposés, mais pas déchets.

20 tonnes d'Uranium de Retraitement, dont on pourrait refaire du combustible, mais qui sont entreposés à Tricastin (30 000 tonnes) sans plus…

811 kg de déchets nucléaires reconnus, les HA-VL (Haute Activité à Vie Longue) dangereux durant des millénaires, et qui devraient à terme être enfouis à Bure.

Donc, officiellement, on a "raison" de dire qu'un réacteur ne laisse que 5% de déchets par an, moins d'une tonne. Il suffit de ne pas appeler déchets les 200 tonnes entreposées en France, sans parler des 69 000 tonnes laissées au Niger ou au Kazakhstan…

N'empêche, 1 tonne de déchets dits « ultimes » par an et par réacteur, avec 58 réacteurs depuis une quarantaine d'années, cela commence à compter. Surtout que ces déchets sont vitrifiés, et mis en conteneurs acier + béton, ce qui augmente leur volume. Pour le moment ces déchets ultimes sont entreposés à la Hague, en attendant Bure.

CIGEO à Bure : un stockage pour l'éternité ?

La loi Bataille de 1991 prétendait explorer 3 voies de gestion des déchets ultimes : la transmutation (vite abandonnée), l'entreposage de longue durée (justifié s'il n'y a pas de retraitement) et le stockage de longue durée, choisi à Bure (Meuse) en 1998. Un décret de 1999 – signé par Dominique Voynet (les Verts) ministre de l’Environnement - institue le laboratoire de Bure, chargé de vérifier la validité du choix de Bure : stockage dans des galeries creusées dans l'argile, à 500 m sous terre. Officiellement, ce laboratoire (1800 m de galeries) ne servira pas à stocker des déchets. Voire… Et de toute manière, aucune autre voie, aucun autre endroit n'ont jamais été envisagés.

Le projet est simple : les colis de déchets HA-VL sont entreposés à la Hague durant une dizaine d'années, puis sont acheminés vers Bure (jusqu'à 5 trains par mois) où ils sont à nouveau entreposés, le temps de les descendre (par plan incliné) dans des galeries où des alvéoles d'une centaine de mètres de long préparées dans l'argile vont les accueillir. CIGEO devrait être opérationnel entre 2035-2040 (réception des premiers colis de déchets) et 2150 (derniers colis). A la suite de quoi, les galeries seraient remblayées, le site définitivement fermé, l'argile se refermant lentement autour des colis. L'espoir est que rien ne bouge avant une centaine de milliers d'années…

En 2004, avec l'aide du Réseau Sortir du Nucléaire, l'association Bure Zone Libre achète une ferme à Bure : la Maison de la Résistance, centre d'information des luttes antinucléaire. Et, à la suite de l'intervention brutale des forces de l'ordre en 2018 pour éviter la création d'une ZAD, la région de Bure est devenue une « zone d'occupation policière » selon les témoignages d'habitants.

On peut encore mentionner l'existence depuis 2000 d'un Groupement d'intérêt Public (GIP) de Haute-Marne, destiné au « développement économique et à l’aménagement du territoire en Haute-Marne », qui a déversé plus de 2 milliards d'euros dans un rayon de 10kms autour de Bure. C'est ce qui doit s'appeler l'acceptabilité du nucléaire.

Des questions sans réponses

Le coût de CIGEO : jusqu'en 2016, l'ANDRA estimait de coût de CIGEO à 35 milliards d'euros. Ségolène Royal, ministre, en a décidé autrement : ce sera 25 milliards. Pas de problème, personne ne sera plus là pour vérifier. Et cela permet à EDF de provisionner moins.

Réversibilité : CIGEO devrait être « réversible » (loi de 2006) autrement dit, il doit être possible, jusqu'à la fermeture, de décider de revenir en arrière dans le projet. Avoir un autre projet ? (on ne peut rien faire avec les déchets vitrifiés !). Et de toute manière, cela implique la récupérabilité.

Récupérabilité : la possibilité de ressortir les colis avant la fermeture (durant 100 ans). Et de ce point de vue, l'ANDRA en est toujours à évaluer la possibilité de ressortir des colis du fond d'une alvéole de 100 m à 500m sous terre. Mais le concept obscur et non prouvé de récupérabilité a remplacé le concept impossible de réversibilité.

Incendies : Les premiers colis (il y en a 500 000 à descendre) ont été traités par bituminage. Il y a donc un risque d'auto-inflammation pointé par l'ASN et l'IRSN dès 2014. Une étude d'experts, en 2019, concluait à l'impossibilité de conclure, et exigeait des études complémentaires. Depuis, le silence !

Surveillance : « Après la fermeture du stockage, la sûreté doit être assurée de manière passive et ne nécessiter aucune action humaine. Néanmoins, une surveillance sera maintenue après la fermeture du stockage » (citation de l'ANDRA). Question : comment maintenir une surveillance alors que tout est fermé, et que les êtres humains sont partis ? Réponse dans 100 ans ?

Mémoire : En supposant que CIGEO se fasse, comment conserver la mémoire du lieu et de ce qu'il y a durant des milliers d'années ? Même si l'ANDRA prétend que « des actions seront menées pour conserver et transmettre sa mémoire », on sait que la mémoire collective ne dépasse pas 800 ans et il ne restera que l'oubli, en espérant que personne n'aille creuser au travers de CIGEO. CIGEO est un dossier pourri depuis le début.

Il n'y a pas que les combustibles usés…

En dehors des 1200 tonnes de combustibles usés qui sortent des réacteurs tous les ans, il ne faudrait pas oublier les autres déchets radioactifs : structures nucléaires tels que réacteurs, usines d'enrichissement, la Hague, Cadarache, installations militaires… Il s'agit en général de déchets (ferrailles, béton) souvent issus des démantèlements. Moins actifs que les déchets ultimes de combustible – mais pas neutres du tout - et de période inférieure à 30 ans (surveillance durant 300 ans au moins). Pour l'instant, ces déchets vont dans deux centres dans l'Aube (Soulaines et Morvilliers) où ils sont stockés dans des hangars, en surface ou en sub-surface.

De nouveaux projets existent qui visent à « libérer » les déchets jugés les moins radioactifs dans la vie courante. On y reviendra.

Jean-Marie Brom, co-auteur du livret 100% énergies renouvelables

Crédit image : Facebook @bure.cigeo.danger.pour.nos.enfants  ·

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