Dans la brèche
Après le séisme de la Bastille, les répliques se multiplient. A Toulouse une foule tout à fait hors normes a débordé de la place du Capitole, envahissant rues et places environnantes et se massant devant les écrans relais qui y étaient disposés. Un torrent populaire s’est engouffré par la brèche ouverte dans le jeu verrouillé de la Cinquième République. Les commentateurs paniqués s’efforcent de colmater leur décor vacillant en rangeant le candidat du Front de gauche dans de vieilles cases bien délimitées. C’est Georges Marchais pour les uns, Mitterrand pour les autres… C’est la marque d’un ordre qui meurt, que d’être incapable de voir celui qui est en train de naître. S’ils ne peuvent comprendre la nouveauté du Front de Gauche, ils sont également muets devant le surgissement populaire qui s’opère. « Phénomène », « démonstration de force »… même élogieux, les qualificatifs journalistiques ramènent le processus d’insurrection citoyenne à une campagne bien menée. Or ce qui est radicalement nouveau, c’est justement que ce mouvement ne se résume pas à un fait électoral. Ni par son objet qui ne se réduit pas à changer le président. Ni par sa portée puisqu’il ne s’arrêtera pas au soir du vote. Alors si l’on doit chercher des analogies historiques, c’est plutôt du côté de la victoire du Front Populaire qu’il faut regarder, quand le capitalisme tremblait sur ses bases et que le succès dans les urnes a immédiatement rebondi dans la grève générale.
Quant au peuple rassemblé, le voici réduit à une réunion de militants, de « supporters » voire « d’adeptes », sidérés par le tribun comme des mouches par la lumière d’une lampe. Ne nous énervons pas ! L’arrogance des puissants est finalement une bonne nouvelle. Elle les perdra ! Une présentatrice interroge ainsi Mélenchon en s’étonnant qu’il soit le seul intervenant dans ses meetings… alors que tous comptent au moins trois prises de parole. Elle insiste car elle le croit dur comme fer. C’est forcément vrai puisque c’est ce que transcrit un journal ! Les voilà victimes de leurs propres bobards. C’est un tout petit détail. Mais il fait éclater aux yeux des centaines de milliers de personnes qui ont suivi les meetings du Front de Gauche, sur place ou par Internet, le fossé béant qui sépare la représentation médiatique de la réalité. Encore une brèche par laquelle s’engouffre la pensée critique, autonome et libérée qui est le vrai moteur de la révolution citoyenne en marche.
Pour ces quinze derniers jours le système médiatique a tourné ses batteries vers nos positions. La canonnade a commencé. Elle va s’intensifier. Les arguments se renouvellent peu. L’attaque à la mode, c’est : « Si Mélenchon est au deuxième tour la gauche a perdu ». Faux bien sûr, mais je remarque d’abord que les sondages n’en sont pas encore là. En revanche nous sommes en train d’y doubler Le Pen. Sur ce point, notez que les commentateurs restent muets comme des carpes. C’est pourtant un bouleversement politique majeur. En vérité, c’est justement ce tournant qui leur pose problème. En agitant la menace d’un Mélenchon au second tour, ils croient avoir trouvé l’épouvantail qui nous ramènera à la quatrième place et restaurera leur diable de confort FN. Mais ce faisant ils nous rendent un fier service. Les voilà qui installent eux-mêmes dans le paysage un scénario auquel nous avons toujours cru mais dont ils ricanaient hier encore. Poussé par ses propres forces puis aidé par ses adversaires, le Front de Gauche est devenu une alternative de direction pour le pays. Les derniers jours de campagne vont valoir des mois voire des années.