Coronavirus : quand les riens sont tout
Le faux choix offert aux Français entre l’isoloir et l’isolement traduit l’imprévision face aux grandes crises. Pourtant depuis des siècles, l’humanité connaît des épidémies. Pourtant depuis des années, les scientifiques alertent sur le caractère insoutenable d’un mode de vie générateur de crises nouvelles dans leur ampleur ou leur conséquence sur des sociétés humaines hyperconnectées et hyperurbanisées. Catastrophes naturelles, incendies, canicule, ruptures d’approvisionnement en énergie, épidémies…La gestion de crises va devenir la norme. Elle le doit. Dire cela n’est pas céder à la panique ni à la collapsologie mais comprendre l’évolution des sociétés contemporaines. Face à cette réalité, les solutions collectives démontrent une fois de plus leur supériorité sur les faillites libérales et égoïstes. La crise climatique et la crise sociale ne disparaîtront pas de sitôt.
« Il nous faudra demain tirer les leçons du moment que nous traversons, interroger le modèle de développement dans lequel s'est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour, interroger les faiblesses de nos démocraties. Ce que révèle d'ores et déjà cette pandémie, c'est que la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession, notre Etat-providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe. Ce que révèle cette pandémie, c'est qu'il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner notre cadre de vie au fond à d'autres est une folie ».
Par ces propos, Emmanuel Macron a surtout exprimé un terrible aveu échec. Les mots tabous sautent. Droit à la santé et hôpital public reviennent en force alors que les pouvoirs successifs n’ont cessé de fermer des lits, supprimer des postes, étouffer les budgets des hôpitaux. Muriel Pénicaud affirme qu’il n’y aura « pas de limite budgétaire » à la réponse à la crise quand Le Monde rapporte les propos d’un membre du cabinet du ministre du budget Darmanin selon lequel « le seuil des 100 % [de dette publique par rapport au PIB] est artificiel, ce n’est pas une ligne rouge ». Macron lui-même qui vitupérait contre le « pognon de dingue » dépensé en aides sociales et « l’argent magique » qu’aurait réclamé les secteurs mobilisés, affirme aujourd’hui qu’il agira « quoi qu’il en coûte ». Le gouvernement « réquisitionne » le matériel médical, « encadre les prix » des gels hydro-alcooliques. En Allemagne, on « interdit l’exportation » des masques (y compris vers les autres pays européens) et on évoque la « nationalisation temporaire » d’entreprises pour éviter leur faillite. Mme Merkel a déjà dit qu’elle était prête à renoncer à la règle d’or du zéro déficit. Le président français critique même la Banque centrale indépendante pourtant indépendante. La trêve hivernale des expulsions locatives est reportée de plusieurs semaines. Enfin, la raison l’emporte, même si c’est tard, même si c’est de mauvaise grâce.
Bien sûr, il aura fallu le plus violent crach boursier de l’histoire pour que les autorités renoncent à certains de leurs dogmes. L’expérience de la crise de 2008 montre que la durée de cette conversion est rarement longue. On s’étonnera au passage que par souci d’éviter le désordre, la bourse ne soit pas elle aussi fermée, surtout qu’elle est loin d’être « indispensable à la vie de la nation ».
Bien sûr, au passage, le pouvoir n’oublie pas son agenda tentant de tirer profit de la crise pour tester ou étendre des projets dans les cartons : déplafonnements d’heures supplémentaires, télétravail non encadré et avec les enfants à la maison, école à distance, chômage partiel subventionné. Les libéraux n’ont pas renoncé à mettre l'Etat au service du marché. La crise permet d'avancer leurs pions sous couvert d’intérêt général. Que ces mesures doivent être prises pour assurer la continuité économique et protéger les populations s'entend. Le choc économique et social sera très violent. Mais elles ne sauraient devenir la règle et l’association des salariés et de leurs syndicats fait cruellement défaut. A minima, l’annulation de la réforme de l’assurance-chômage et du débat sur la réforme des retraites prévu au Sénat en avril sont indispensables. Quand le pays doit faire bloc, l’intérêt des salariés doit primer sur les calculs des financiers.
Les mots ne suffisent pas. Le bilan accuse. L'intérêt général était bien du côté de ceux qui depuis des années réclament de la solidarité, du service public, des moyens contre la précarité, de la définanciarisation de l’économie, la préservation de la Sécurité sociale, la revalorisation de métiers où les femmes sont sur-représentées (à commencer par la santé), la relocalisation des productions à commencer par les plus stratégiques comme les médicaments, la souveraineté démocratique des décisions monétaires, la rupture avec une Union européenne évanescente face à cette crise comme à toutes les autres et incapables d’organiser une riposte commune en tentant compte des différents stades de contaminations entre pays.
La crise impose des ruptures. Immédiates pour retarder la diffusion de la maladie, renforcer et protéger le système de santé et ses professionnels, protéger les populations à commencer par les plus vulnérables y compris socialement : recrutement et hausse des salaires infirmiers, suppression des jours de carence pour les salariés en arrêt maladie comme des délais imposés pour l’accès aux soins des étrangers en situation irrégulière, suspension des activités non indispensables, maintien des salaires à 100% en cas de chômage partiel, préservation des droits des chômeurs contre les radiations et fin de durée d’indemnisation, garanties pour les indépendants, intérimaires et auto-entrepreneurs, suspension du remboursement des crédits bancaires, contrôle public des activités d'intérêt général (médicaments), A tout le moins, le suivi de l’épidémie et des mesures prises exige un comité parlementaire de suivi, fusse à huis-clos.
Mais les ruptures devront être durables. Il faudra la révision du financement de l'hôpital, l’éradication des déserts médicaux, un plan de relance et de réorientation des productions, la planification écologique pour préserver les milieux naturels et améliorer la situation par exemple au regard de la santé publique (songeons à cette heure au lien entre pollution et maladies respiratoires par exemple).
De ceci, le macronisme et au-delà le néolibéralisme ne sera pas capable. C'est à lui que revient de gérer la crise et on ne peut que souhaiter qu'il prenne les bonnes décisions. Mais le manque de confiance dans les autorités est un problème. Il l’est en temps normal, il l’est encore plus en temps de crise. La 5e République et l'arrogance néolibérale sont fauteurs de crise autant que les politiques mises en place. Affronter ensemble ne doit pas empêcher de penser la suite. Face aux crises, la confiance politique et la résilience sociale ne sont pas des options en débat mais des nécessités vitales. Puisse le défi d’aujourd’hui en diffuser la conscience. Alors le malheur n’aura pas été complètement vain.
Matthias TAVEL