A lire : Notre révolution de Bernie Sanders
Deux ans après sa formidable campagne dans la primaire pour l’investiture du parti Démocrate à l’élection présidentielle des Etats-Unis, Bernie Sanders a récemment annoncé qu’il serait candidat à la fin de l’année à sa réélection au Sénat des Etats-Unis. Une bonne occasion de lire son livre Notre révolution. D’abord, parce que la campagne de Sanders a failli « renverser la table » lors des primaires démocrates de 2016. Ensuite, parce que son livre apporte des éclairages signifiants sur l’état de la société américaine, et le projet politique défendu par Sanders.
Un Homme politique à contre - courant
Lorsqu’il lance sa campagne pour la primaire démocrate, le 26 mai 2015 à Burlington dans le Vermont, Bernie Sanders est un homme politique largement inconnu du grand public américain. Il est cependant engagé de longue date dans la vie politique des Etats Unis d’Amérique. Il s’est engagé jeune, dans la lutte en faveur des droits civiques. Il a ensuite été élu maire de Burlington en 1980, puis représentant du Vermont au Congrès des USA en 1990 et devient Sénateur de l’Etat du Vermont en 2006.
Il s’agit déjà d’un élu atypique : il a pris position contre les deux guerres en Irak, contre l’abrogation du Glass Steagall Act 1, ... Son activité parlementaire l’amène également à « tirer vers le haut » l’Obamacare 2 ou à défendre une loi bipartisane améliorant la prise en charge des soins médicaux des anciens combattants.
Une campagne hors norme
D’emblée, la campagne de Sanders pour les primaires démocrates 3 s’écarte des standards observés jusqu’à présent.
Sanders se refuse à financer sa campagne par le biais de Super Pac 4. Il le fait par cohérence, tant il dénonce avec force ce mode de financement des campagnes électorales. Sa campagne fait, au contraire, le choix de s’appuyer sur le grand nombre. Au travers des réseaux sociaux et d’une plateforme numérique. Et cela a fonctionné au-delà de ses attentes, de nombreux américains étant scandalisés par la corruption de la vie politique. Sa plateforme lui a permis de bâtir une grande organisation de volontaires et de collecter une masse considérable de dons : plus de 232 millions de $, fournis par 2,5 millions de personnes.
L’autre caractéristique majeure de la campagne Sanders, c’est la volonté d’entretenir un lien direct avec les électeurs, au travers d’une multitude de meetings et d’écoutes collectives des débats 5. Dans le cadre de la seule primaire du New Hampshire, la campagne Sanders a organisé pas moins de 68 réunions publiques accueillant près de 42 000 personnes. Sa campagne a battu des records de mobilisation, avec de grands rassemblements à Los Angeles (27 500 personnes), à Boston (20 000 personnes) et deux grands meetings de 28 000 personnes à New York. « L’un des buts de notre campagne était de “rassembler”, pas seulement métaphoriquement, mais en chair et en os ».
L’enthousiasme et l’énergie de la campagne Sanders lui permettent d’obtenir le soutien d’organisations progressistes telles que MoveOn.Org, de plusieurs syndicats 6, et de célébrités telles que Mark Ruffalo, Susan Sarandon, ou Spike Lee.
Toutefois, malgré ses succès, la campagne Sanders se heurte à de sérieuses difficultés. Seule une poignée d’élus démocrates le soutiennent 7 ; alors que la campagne d’Hillary Clinton dispose du soutien de l’appareil du Parti Démocrate et de l’appui de la quasi - totalité des super - délégués à la convention démocrate. Sanders rencontre également des difficultés à accéder aux grands médias nationaux, alors que la campagne de Clinton bénéficie d’une couverture médiatique écrasante.
La “rente de situation” dont bénéficie Hillary Clinton n’est pas sans conséquences sur les résultats des élections primaires, organisées entre février à juin 2016. Si Sanders est parvenu à mobiliser les jeunes et les classes moyennes et ouvrières, il a rencontré des difficultés à percer auprès des personnes âgées et des afro américains. En revanche, il a obtenu des résultats intéressants dans l’électorat hispanique.
Finalement, Bernie Sanders a obtenu plus 46% des suffrages exprimés lors des primaires et caucus organisés dans les différents Etats membres. Il a emporté la victoire dans une vingtaine d’Etats, dont le Michigan, l’Oregon ou la Colorado, et obtenu de courtes défaites dans des Etats tels que l’Illinois, le Nouveau Mexique ou le Massachusetts.
Les souffrances du peuple américain
Le récit de Sanders permet de « mettre en mots » toute l’étendue des souffrances du peuple américain, qu’il s’agisse des familles intoxiquées par l’eau chargée de plomb à Flint, de l’angoisse ressentie par les sans-papiers d’origine hispanique menacés d’expulsion, ou de la situation sanitaire et sociale catastrophique de la tribu Sioux Oglala de Pine Ridge 8.
Si ces souffrances sont incarnées, elles ont également une cause : les politiques néolibérales mises en en œuvre depuis Reagan. Elles se sont traduites par l’explosion de la pauvreté et le déclin de la classe moyenne, au bénéfice d’une caste d’hyper riches :
- En 1979, les 1% les plus riches détenaient 7% de la richesse du pays, cette proportion est à présent de 22%,
- 43 millions d’Américains vivent dans la pauvreté extrême, soit 13,5% de la population,
- Le taux de chômage officiel est de 5%, mais le taux réel est du double, en tenant compte des personnes qui ont abandonné toute recherche ou qui subissent un temps partiel imposé,
- Le salaire minimum fédéral est de 7,25 $ / heure, et a perdu 30% de son pouvoir d’achat depuis 1968,
- Le revenu médian par foyer est inférieur de 1400 $ par rapport à 1999, en tenant compte de l’inflation,
- 28 millions d’Américains n’ont pas d’assurance maladie (même après l’Obamacare) bien que les USA consacrent 17% de leur PIB en 2013 aux dépenses de santé (soit 50% de plus que la France).
Ces politiques néolibérales se sont appuyées sur la politique budgétaire mise en œuvre par les Etats membres et l’Etat fédéral : coupes dans les programmes sociaux, baisse des impôts des plus riches. Ainsi, en 1978, l’impôt sur les plus-values et les dividendes approchait les 50%. Il a été constamment diminué depuis, jusqu’à être ramené à 15% en 2003. Sanders dénonce les multiples échappatoires permettant aux plus riches et aux multinationales de pratiquer l’évasion fiscale à large échelle. Résultat, « Rien qu’en 2015, les sociétés américaines détenaient un total de 2400 milliards de dollars de profits offshore dans les paradis fiscaux” ».
Elles se sont également appuyé sur les traités de libre-échange imposés par les USA. C’est là tout le comble de l’ironie ! Le traité ALENA (entre les USA, le Canada et le Mexique) a détruit plus de 850 000 emplois, selon l’Economic Policy Institute. Quant à la libéralisation des échanges commerciaux avec la Chine (PNTR), elle a conduit à la perte de 3,2 millions d’emplois. Ces politiques ont dévasté des villes et des régions entières. Et de citer l’exemple de Flint, où « le libre échange sans entrave et les échappatoires fiscales pour les entreprises ont permis à General Motors d’y supprimer 72 000 emplois lorsqu’elle a transféré plusieurs usines au Mexique ».
Un candidat populiste ?
Si Bernie Sanders se définit comme un “socialiste”, la stratégie discursive qu’il a développée le rapproche, dans une certaine mesure, du « populisme de gauche ».
Sanders s’adresse au peuple américain dans son entier et met en valeur ce qui est universel : « Ensemble, quand on ne se laisse pas diviser par les démagogues, il n’y a rien qu’on ne puisse accomplir ». Il désigne l’adversaire : l’oligarchie, les multinationales, Wall Street et cherche à unir les classes moyennes et défavorisées, qu’elle que soit leur genre ou leur couleur de peau.
Sa dénonciation de la finance prédatrice le conduit, par exemple, à proposer de plafonner la taille des banques de sorte à ce que leurs actifs ne dépassent 2% du PIB, dans le but de démanteler les banques « too big to fail ».
Sa volonté de “fédérer le peuple” l’amène à proposer la mise en place d’un système public et universel de remboursement des frais médicaux : Medicare for all. Il propose de financer ce système de santé universel par l’augmentation de l’impôt sur le revenu pour les plus riches, de la taxation sur les dividendes et plus-values, ainsi que par des cotisations sur les employeurs et les salariés.
Son discours articule la critique des traités de libre-échange et la situation des sans-papiers. Il appréhende l’immigration des mexicains aux USA comme la conséquence des traités de libre-échange. En effet, « les exportations américaines de maïs bon marché (et fortement subventionné) ont été multiplié par cinq [depuis 1994] ; elles ont envahi le marché mexicain, poussant des centaines de milliers d’agriculteurs à l’exode rural ». S’il propose d’imposer des normes contraignantes en matière de syndicalisme et d’environnement dans les accords commerciaux des USA, il prône également la régularisation des travailleurs sans papiers : « Nous devons étendre les protections aux travailleurs sans papiers et ne plus permettre aux employeurs de leur payer un salaire de misère ».
Combattre le changement climatique
Si Bernie Sanders était un candidat socialiste, et populiste dans une certaine mesure, c’était également le candidat le plus engagé dans la lutte contre le changement climatique. Il considère qu’elle « constitue la plus grande menace à laquelle est confrontée la planète. Il représente un danger de mort pour notre pays et pour le monde ».
Son programme vise à réduire la pollution carbonée de 40% d’ici 2030 et de 80% d’ici 2050 par rapport à 1990. Pour ce faire, il propose d’investir massivement dans les renouvelables, dans le stockage d’énergie, dans l’efficacité énergétique des bâtiments, et dans l’amélioration de l’efficacité des transports ferroviaires. Ces mesures seront en partie financées par une taxe carbone et par le budget fédéral. De fait, la lutte contre le changement climatique est déjà engagée à l’échelle locale. il cite l’exemple de l’Iowa où 30% de l’électricité est fournie par les éoliennes. L’objectif est donc de systématiser ces projets menés localement.
Sanders tient également des positions très avancées contre les projets extractivistes : il a pris position de longue date contre le projet d’oléoduc Keystone XL ; il propose d’interdire la fracturation hydraulique, l’extraction de pétrole en Artique ainsi que les forages offshore.
Dans sa conclusion, Sanders appelle les américains à l’engagement : « La révolution politique, notre révolution doit continuer ». (...) « Engagez-vous dans votre conseil d’école, dans votre conseil municipal, au congrès de votre Etat. Engagez-vous pour le poste de gouverneur. Engagez-vous au Congrès. Engagez-vous au Sénat. Engagez-vous pour la présidence ».
Et cet appel n’est pas resté sans réponse. Les élections locales de novembre 2017 ont été marquées par la victoire de candidats se réclamant de Sanders : « Sur les 59 candidats soutenus par Our Revolution, le mouvement créé il y a un an par le sénateur du Vermont peu après l’arrivée à la Maison blanche du milliardaire, 27 ont gagné, de même que 15 candidats issus des Democratic socialists of America. ».
Mathieu Sitori
photo: Gage Skidmore
(1)Législation votée durant la présidence de Franklin Delano Roosevelt séparant les banques de détail des banques d’affaires et abrogée sous le mandat de Bill Clinton. L’abrogation de cette loi et l’apparition de banques “too big to fail” sont considérées comme l’une des causes majeures du Krach de 2008.
(2) L’Affordable Care Act, plus connu sous le nom d’Obamacare, a amélioré la couverture et la prise en charge des soins médicaux des américains.
(3) Aux USA, la vie politique est encadrée par le Parti Démocrate et le Parti Républicain ; le mode de scrutin majoritaire à un tour rendant difficile l’émergence d’une “troisième force”. Ces partis organisent la désignation de leurs candidats dans le cadre de “primaires”. La campagne de Bernie Sanders s’est donc inscrite dans le cadre des primaires démocrates.
(4) Les “ Super Pac” sont des comités de campagne “indépendants”, financés sur fonds privés et soutenant la campagne de candidats, en plus de la campagne officielle des candidats.
(5) Plus de 4 000 soirées et écoutes collectives sont organisées par les partisans de Sanders lors du premier débat télévisé entre les candidats à la primaire démocrate.
(6) Le National Nurse United (syndicat des infirmières), le Communication Workers of America ou encore l’American Postal Workers Union (syndicat des postiers).
(7) On peut citer le sénateur de l’Oregon Jeff Merkley, les représentants au congrès Keith Ellison, Tulsi Gabbard (Hawaii), Raul Grijalva (Arizona), Marcy Kaptur (Ohio), Peter Welch (Vermont) ou encore l’élu du comté de Cook Chuy Garcia.
(8) Les amérindiens de la tribu Sioux Oglala de la réserve de Pine Ridge (Dakota du sud) sont confrontés à un taux de chômage de 80%, une espérance de vie de 48 ans pour les hommes et de 52 ans pour les femmes et à un taux de suicide très élevé.
Sources :
Notre révolution de Bernie Sanders, Edition Les liens qui Libèrent (2017),
https://www.lemonde.fr/elections-americaines/article/2016/03/02/les-super-delegues-arme-fatale-d-hillary-clinton_4874781_829254.html https://fr.wikipedia.org/wiki/Primaires_pr%C3%A9sidentielles_du_Parti_d%C3%A9mocrate_am%C3%A9ricain_de_2016 https://www.lemonde.fr/ameriques/visuel/2016/12/16/a-flint-michigan-la-crise-de-l-eau-n-en-finit-pas_5049848_3222.html https://www.nationalgeographic.fr/photographie/2013/07/reportage-chez-les-sioux-dans-la-reserve-de-pine-ridge
http://www.regards.fr/web/article/aux-etats-unis-la-gauche-socialiste-de-sanders-remporte-des-elections