Fédérer

Fédérer est tâche ardue. Mais c'est l'essence même de l’action politique. On fédère en partant de points de vue, et parfois d’intérêts, différents mais en construisant du commun. Pour y parvenir, mieux vaut éviter d'insulter ou de mépriser ceux que l'on espère entraîner ni exiger d’être d’accord sur tout. L’écoute et la décision collective sont des passages obligés. Mieux vaut aussi éviter de s'époumoner dans le vide en parlant une langue morte comme celle du rassemblement de la gauche. Mieux vaut prendre ses repères dans la société que dans les entre-soi confortables mais sclérosants.

De ce point de vue, le mouvement des gilets jaunes est une leçon. Une sorte de fédération en construction. Du discours anti-taxe initial, on en vient à des mots d'ordre plus riches. Déjà la demande de justice sociale et fiscale est partout.

Au-delà, deux choses unifient. La première, c’est l’exigence de dignité. Il y a dans ce mouvement une volonté farouche de décider de sa vie, une sorte de souverainisme de soi-même. Que cela se soit cristallisé dans le prix de l’essence, donc dans la possibilité de se déplacer par soi-même, montre comment le besoin le plus élémentaire est aussi une revendication de longue portée politique.

L’autre unifiant est démocratique : maîtriser collectivement la marche à suivre. Cette aspiration à la souveraineté se traduit dans l’action commune avec une grande méfiance envers tout représentant. Mais les gilets jaunes ne s’arrêtent pas en si bon chemin. Combien de « Macron démission » ? D’appels à dissoudre l’Assemblée, à supprimer le Sénat, à reconnaître le vote blanc ?

C’est une bataille de même nature qui se joue en Europe. Il n’y a plus de train ? Les usines délocalisent ? On nous impose le glyphosate ? Notre vie nous échappe ? Tout ceci a une cause. La privatisation de l’idée européenne par la finance. La Commission exige d’ailleurs de l’Italie un budget révisé et prétend demain contrôler toujours plus les lois nationales. Après avoir reçu Hollande, Tsipras conseille à l’Italie de céder. Il faut dire qu’un eurodéputé Syriza propose une coalition « de Tsipras à Macron ». Pour eux, le vote populaire n’est plus à suivre mais à fuir. Face à cela, le gouvernement italien a fait un pas en arrière. La résistance démocratique, sociale et écologique indique une voie de résistance plus féconde que la Ligue italienne.

Dans ce contexte, fédérer est plus nécessaire que jamais. C'est par les propositions qu’on y parvient solidement. Les portes d’entrées ne manquent pas : accès aux soins, pouvoir d’achat et salaires, refus des pollutions et de la malbouffe, volonté de contrôler les élus ou de les révoquer. Combiner la lutte pour la fin du mois et contre la fin du monde nécessite d’expulser du pouvoir ceux qui pourrissent la première et accélèrent la seconde. La révolution sera citoyenne ou ne sera pas.

Matthias TAVEL

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