Allez voir « Le Peuple et son Roi » de Pierre Schoëller !

La sortie du film de Pierre Schoëller constitue selon moi un grand évènement cinématographique. Pour la première fois depuis bien longtemps (depuis « La Marseillaise » de Jean Renoir, en 1938, c'est à dire il y a 80 ans), un film rend hommage, sans caricature grossière, à la Révolution Française et place enfin comme acteur central de ce grand évènement historique : le Peuple. Il tranche avec les deux films très didactiques, qui ont tant été vus dans les lycées, composant "La Révolution Française" de Robert Enrico paru en 1989, où la deuxième partie semblait présenter 1793 et 1794 comme un "dérapage" violent et totalitaire après quatre prétendues "années lumières" selon le titre attribué. Sans parler du très beau "Danton" de Wajda qui, avouons-le, parle plus de la Pologne de Jaruzelski que de la France révolutionnaire.

Ici, c’est le courage de gens simples, leurs doutes, leurs espoirs et leurs évolutions idéologiques que ce film magistral montre avec une rare subtilité et souvent avec émotion. La dynamique complexe des étapes principales de la Révolution est retracée avec intelligence, par une succession de tableaux s’enchainant par des ellipses. Le rapport, souvent contradictoire, du peuple à son roi, après des siècles d'oppression, est montré avec justesse et l’évidence que l’accomplissement réel de la promesse de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 ne pouvait existait à terme que dans la rupture nette avec la monarchie, est démontré avec brio.

L’originalité de cette oeuvre vient aussi que les femmes y occupent une place centrale. Enfin ! Elles furent si longtemps les oubliées de cette Histoire, où seulement vues dans des personnages troubles comme Madame Rolland ou Charlotte Corday. Et même le personnage d’Olympe de Gouges, favorable à la monarchie constitutionnelle et personnage en réalité très mineur de la Révolution, avait occulté les femmes du peuple par son omniprésence médiatique par la façon univoque dont il fut mis à la mode il y a une vingtaine d'années. Quel bonheur pour moi de voir à l’écran pour la première fois la révolutionnaire Pauline Léon, même si c'est de façon furtive. Les femmes furent pourtant le moteur de cette Révolution populaire, toujours au premier rang, participant au discussion politique, payant souvent de leur vie leur engagement, même si l’égalité civique entre les hommes et les femmes n’était pas encore à l’ordre du jour, ce que le film ne masque pas. Sur ce point, on pense bien sûr en voyant ce film à l’ouvrage si important de l'historienne Dominique Godineau « Citoyennes tricoteuses » parue en 1988.

La force du film est donc qu'il ne met pas en scène des personnages révoltés, comme le cinéma sait classiquement le faire, mais bien d'une Révolution et ceux qui l'aliment. Dès lors, la question démocratique, à travers le débat sur le vote censitaire ou non, et la question sociale traversent ce film. C’est l’exigence de réponses à ces deux questions fondamentales qui écrira l’Histoire. C’est encore le cas.

Le personnage de Maximilien Robespierre est montré, si loin de la légende noire habituelle mais sans idolâtrie, dans toute son importance lors des débats parlementaires. Louis Garrel est parfait dans le rôle de cet « incorruptible » au verbe clair qui aura l’oreille des sans-culottes. A l'opposé, on comprend le poids des députés conservateurs qui comme Barnave voulaient très tôt que « la révolution soit terminée ». Ils ne supportaient pas la parole de ceux qui portaient vraiment la "Déclaration des droits de l’Homme et du citoyens" comme une exigence à mettre en application concrètement et non seulement des droits abstraits proclamés dans le ciel des idées, mais qui ne devaient surtout redescendre sur terre. La peur de ceux qu’ils voyaient comme

de « la canaille » les perdra. la brutalité de La Fayette faisant tirer sur le peuple au Champs de Mars n’est pas effacée. J’ai adoré Denis Lavant dans son interprétation époustouflante de Jean-Paul Marat « l’ami du Peuple », dont la parole effrayait les puissants et gonflait d’espoir les plus humbles, les humiliés… On pense aussi en voyant Lavant à Antonin Artaud dans le rôle de Marat, dans le "Napoléon" d’Abel Gance en 1937. Je n’ai souvenir d’aucune interprétation cinématographique du personnage depuis, si ce n’est des choses sans intérêt.

Les Brissotins, c’est à dire ceux qui l’on nomme désormais les Girondins (essentiellement depuis l'ouvrage de Lamartine), sont aussi montrés dans leur réalité crue : le mépris du peuple et sa soif de justice sociale et d’égalité. Amusant à l'heure où certains voient dans les Girondins un idéal démocratique. Ils étaient des propriétaires féroces qui avaient horreur de petit peuple.

Toutefois j’insiste, la force du film est de ne pas focaliser sur des grands personnages, au rôle certes majeurs, mais de placer au premier plan le peuple de Paris. On pourra d'ailleurs reprocher que ce film fait le choix de ne pas trop parler des campagnes et des paysans ou de la province. C’est juste. Mais il fallait faire des choix sans doute.

Je vois dans ce film extraordinaire une nouvelle lecture de la Révolution Française qui revient en force dans le débat public et j’en suis heureux. Après des années sombres où la lecture de l'historien François Furet s’était imposée (notamment lors du bicentenaire de 1989), de nombreux historiens nous ont permis depuis de parler à nouveau sans être insulté, de Maximilien Robespierre, Saint-Just, Marat et de tous ceux qui ne voulaient pas abdiquer la souveraineté du peuple devant les forces de l’argent. Déjà.

Un dernier mot sur Louis XVI, campé ici par un Laurent Laffite irréprochable. les failles du personnage permettent de comprendre pourquoi il était impossible de mettre en place une monarchie constitutionnelle dans un vieux pays où son pouvoir avait été si puissant et où les idées des Lumières avaient fécondé depuis longtemps avant que n’éclate la Révolution. « Cet homme doit régner ou mourrir » assénera Saint-Just lors de son procès. La sentence terrible sera d’une pertinence incontournable dans un moment où la France était envahie par des puissances étrangères qui voulaient le rétablir sur le trône et en proie à toutes les trahisons et les complots.

Je crois donc utile que le plus grand nombre aillent voir ce film, en débattent et se tournent ensuite vers les nombreux ouvrages retraçant l’importance de la Révolution Française. Les historiens qui ont aidé au film (Arlette Farge, Sophie Wahnich ou Guillaume Mazeau) sont de ceux-là. Mais il faut aussi lire ceux d’Hervé Leweurs, Michel Biard, Jean-Clément Martin, Jean-Marc Schiappa, Cécile Obligi, Claude Mazauric, Florence Gauthier ou encore Yannick Bosc et Marc Belissa.

J’en oublie d'autres qu’ils m’excusent.

Je forme le voeu ardent que ce film spectaculaire au demeurant (à la photographie si belle) fasse date dans notre histoire commune. A l’heure où la Ve République, et ses insupportables traits de monarchie présidentielle, s’enfonce dans un régime de plus en plus affaibli et de plus en plus inquiétant il faut renouer avec notre histoire profonde et l’acte de naissance de la République pour se projeter vers l'avenir et accomplir les promesses de la Révolution. J'ai lu avec étonnement que beaucoup de critiques cinématographiques l'ont décrié en le trouvant favorable" à la vision de Jean-Luc Melenchon" (cf. Le Point qui y voit "Une histoire melenchoniste de la Révolution" avec dégoût )... Le sectarisme de certains contre nous est comique et glaçante à la fois.

Un dernier mot. Le film s’achève à la mort du roi le 21 janvier 1793, laissant ouvert beaucoup de questions et notamment l’oeuvre de la Convention, la République montagnarde et la brûlante question de la violence révolutionnaire, et donc de la Terreur, qui a été si souvent était lancé au visage des défenseurs de la Révolution pour les faire taire. Ce film reste ambigu sur ces controverses...Tant mieux, tant pis ? Je vous laisse juge. Il reste au réalisateur de nous offrir une suite, pour que le débat public continue. Je l’attends avec impatience.

C’est pourquoi il faut aller voir « un peuple et son roi ».

Alexis Corbière

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