« Libres d’obéir » : Nazisme et management

« Le management par délégation de responsabilité » : cette gestion des « ressources humaines » que met en musique le néolibéralisme a largement fait ses preuves. On n’ignore plus les « symptômes psychosociaux, anxiété, épuisement, burn out et bore out » qu’elle produit, jusqu’aux suicides de salariés comme à France Télécom. Johann Chapoutot dans son dernier ouvrage Libres d'obéir (Essais Gallimard, 16€) en remonte le fil qui mène droit aux… nazis dont il est un historien indispensable et reconnu.

Reinhard Höhn, jeune et brillant docteur en droit, membre du parti hitlérien dès mai 1933 puis de la SS en juillet, en est la figure centrale. Himmler reconnaît ses mérites en nommant l’universitaire général SS en 1945. Le moment ne lui permet pas de profiter de sa promotion et il devra attendre la loi d’amnistie du 31 décembre 49 pour faire valoir ses talents. Des industriels reconnaissant d’avoir bénéficié durant 12 ans des commandes de guerre lui confient alors la direction d’un think tank chargé d’étudier des méthodes de management efficaces. L’expert Höhn enseigne bientôt avec d’autres ex-SS son savoir puis dirige l’école de commerce allemande la plus fameuse qui jusqu’en l’an 2000 verra passer 600 000 cadres. « Tout le gratin et les soutiers du « miracle économique allemand » se pressent à ses séminaires. »

Trop d’Etat avait pour le bon professeur causé l’échec hitlérien. En nazi conséquent, il le jugeait trop redistributif, mais aussi trop rigide et trop vertical. Pourtant, le nazisme avait dispersé ses missions sur une multitude d’agences temporaires parfois concurrentes. Mais la défaite a montré qu’il y avait eu déficit de« liberté » et c’est dans l’étude des principes militaires prussiens post-napoléoniens que Höhn va dénicher son graal. On avait attribué alors aux officiers plus de latitude pour qu’ils puissent « trouver de manière autonome, comment » réaliser les tâches assignées. Restait à transposer le principe militaire dans les entreprises.

Ainsi, « au chef revient les responsabilités de commander, de contrôler et d’évaluer. A l’exécutant incombe la responsabilité d’agir et de réussir d’autant plus grande qu’il est libre de choisir les moyens de sa mission. » Les salariés reconnaîtront le jeu de dupes, internationalisé, peaufiné dont ils sont les acteurs involontaires. Mais « qui contrôle les contrôleurs » fait mine de s’interroger l’auteur ? La réponse renvoie à la logique folle du capital qui ne peut masquer là sa parenté avec le nazisme, loin d’être une monstruosité sortie de nulle part.

 

Jean-Luc Bertet

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